Coronavirus • Dans quel Etat j’erre ?

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Chronique sur Kedistan du 21 mars 2020

Je poursuis mon jeu de mikado, en phrases mêlées à propos du coronavirus. Et puisque l’Etat insiste pour reprendre la main…

Et puisque l’Etat insiste pour reprendre la main
J’ai entendu ces jours-ci une phrase se répéter : “On jugera un homme d’Etat à sa façon de surmonter la crise actuelle”. Encore une porte ouverte en période de confinement. Mais pas que.

Ce coronavirus questionneur interroge justement tous ces vocables, de “l’unité nationale” aux “civisme républicain” , passant par un mélange des genres entre “services publics“, “services de l’Etat“, Etat protecteur, Economie nationale, Nation tout court …etc.

Il n’a jamais été aussi facile politiquement pour un dirigeant de revêtir justement le costume de père protecteur de la Nation, pour peu qu’il s’appuie sur une cohorte de sachants, puisque les “sujets” se tournent vers lui à la fois pour demander des comptes, et en même temps pour qu’il exerce son “autorité”. Ce faisant, on se retourne vers l’Etat.

Avant d’aller plus loin, je dois faire un pas de côté, non pour nier la pandémie et sa réalité, mais pour revenir sur le début de ces chroniques, en rappelant que la réaction apeurée mondialisée face à cette pandémie n’a d’égale que l’exacerbation de toutes les contradictions internes au système capitaliste mondialisé et de son poisson pilote financier. C’est une réaction de panique. Réaction à laquelle pourrait succéder des dérives et des remises en cause profondes du peu que ce système n’a pas encore détruit ou détourné à l’échelle mondiale.

Pourquoi le capitalisme deviendrait-il bientôt un système de philanthropie, alors qu’il y a quelques semaines encore, ses Etats répondaient par la violence, la torture, la mort, à celles et ceux qui se dressaient en résistance sur 3 continents, ou par la guerre. Je rappelle le Moyen-Orient. Et, justement, dans cette crise, les financiers du néo-libéralisme pourrait bien faire redécouvrir les vertus d’un Etat et de l’autoritarisme, en apprenant de fâcheuses habitudes aux populations mises en danger, et en confinement. Néo-libéralisme et Etat en réalité n’ont jamais été ennemis, et ont même prospéré ensemble sous la dictature chilienne du siècle dernier.

Un des prototypes de l’Etat-nation propulsé à travers le monde, tantôt à la force des baïonnettes, tantôt à la canonnière, s’incarne dans le modèle français par exemple. Et comme il se confond largement avec l’histoire des siècles passés, et pour les générations vivantes, s’imbrique avec les notions de République, d’Etat providence, de services publics, de “modèle social”. Plus personne ne sent sa “violence légitime“, sauf quand elle s’exerce à coup de matraque, de tirs de LBD, de grenades et de lacrymos. Une bonne part de la société française a pris pour habitude de dénoncer les matraques chez les voisins et de louer l’efficacité du maintien de l’ordre à domicile, en défense des “valeurs républicaines“. Même la gauche française est cocardière, comme elle fut coloniale, et elle fait en permanence confondre systèmes sociaux acquis dans des luttes passées, services, biens publics et communs et… Etat.

Voilà donc que tout naturellement, dans la panique entretenue autour de l’épidémie de coronavirus, on se tourne vers cet Etat, ses structures de gouvernement, sa police, voire son armée, pour “mener la guerre“.

Constater “en même temps” que ce même Etat, et ses gouvernements successifs, menaient une politique d’austérité, rognait et détruisait les biens communs au profit “des plus riches“, et le slogan “Président des riches” fit florès, est une contradiction que les politiciens républicains nous résumeront sous le vocable “débat démocratique utile à l’unité de la Nation“. Fermez les guillemets. On attendra donc l’alternance, comme chez Beckett, ou le retour de bâton de fin de pandémie.

Alors, quand arrive dans la République un virus à couronne qui semble menacer la Nation toute entière, la rente, le profit et la poursuite des “réformes”, c’est Carmagnole.

Le mot de “confiance” est lâché, tout comme les exemples d”‘incivilité”… Les vieux réflexes de classe qui surgissent d’un côté et vont remplir des résidences secondaires ou des plages avant les beaux jours et de l’autre les images de marchés très fréquentés dans les quartiers populaires parisiens passent en boucle, en opposition avec la “sagesse et le civisme” de rues désertées et de laissez-passers “contrôlés” par la police. Ces gouvernements n’ont aucune confiance dans la résilience des populations mais l’exigent pour eux-mêmes, sanctions à l’appui.

Restez chez vous, chacun chez soi, telle est la consigne “collective”. S’y ajoute en même temps les appels frénétiques à “continuer le travail”, pour éviter “l’effondrement économique”. Il est sûr que fabriquer en ce moment des chariots de supermarché, vendre des voitures ou bâtir des immeubles de bureaux sont des activités essentielles contre le coronavirus… Toute cette cacophonie méritera un nouvel article, sous forme d’inventaire à la Prévert. Tout comme ce qu’il serait possible de faire, collectivement, hors d’un cadre d’obéissance aveugle. Les résiliences communes ne recoupent pas forcément un garde à vous d’en temps de guerre.

Les gestes barrière, les confinements, les masques sont indispensables et nécessaires face à cette crise sanitaire du coronavirus, et tout autant que l’auraient été de vrais biens communs en nombre autour de la santé. Dire le contraire n’est pas de mise. Ce qui ne l’est pas, c’est que les Etats s’en saisissent comme police sociale, au nom de leurs intérêts supérieurs, en vue de leurs propres sorties de crise.

Et des lignes de fond persistent, qui n’augurent rien de bon pour la suite. Si en même temps des verrous austéritaires sont débloqués par nécessité, tous les boulons du système d’exploitation sont resserrés, et des mesures gouvernementales pourraient bien jouer sur la “confiance”, pour finir de nettoyer des acquis de lutte du “monde du travail”, en passant. Ce système, après avoir un temps fait le gros dos à l’approche de la crise sanitaire, cherchera à se sauver lui-même en “récupérant” ce qu’il va y perdre. Faites lui confiance pour cela. Et ne nous attendons pas à la chute de régimes autoritaires non plus…

Rien ne sera comme avant, mais en pire peut être.

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