C'est la fin. Pas la peine de faire la queue, y en a plus. Ainsi sonne la fin de la récré et de l'insouciance, quoi qu'il en coûte. C'est le président qui l'a sifflée.
Bon, y en a plein qui n'ont jamais été servis, mais celles et ceux-là, comme les enfants qui n'ont jamais vu la mer, devront se l'imaginer.
L'abondance... Les pommes à volonté. Cette sentence a le goût du paradis perdu. Nous voilà condamnés à vivre sur terre, et à souffrir, nous, les insouciants. Voilà la cigale fort dépourvue.
N'avons-nous pas mangé notre chômage par les deux bouts ? Ne nous sommes-nous pas vautrés à l'envie dans des lits douillets d’hôpitaux ? N'avons-nous pas profité de retraites interminables, et si jeunes ? Et je ne parle pas de ces bains qui débordent de mousse, tandis qu'un robinet coule tout seul sur la brosse à dents. Et la wifi hein ? La wifi, allumée en permanence. Quel.les insouciant.es nous fument, qui ne voyaient pas venir la fin de l'abondance, la bascule vers l'inconnu de la sobriété.
Punis. Nous avons dépassé les bornes, et elle sera là pour nous le rappeler, la première sinistre.
Pour commencer, cure de désintox. Fini le chômage d'agrément, les boulots de merde que l'on refuse. Si c'est comme ça, y aura un RSA qui prendra ta place, et pour moins cher ! T'as compris l'insouciant ? Et t'as intérêt à traverser la rue !
C'est pourtant pas le boulot qui manque. Là, y a toujours abondance de postes non pourvus. Quoi les salaires et les conditions de travail ? Tu voudrais pas qu'on te verse des dividendes aussi ? T'as fait quoi pour ça ? C'est toi qui les crée les nemplois ? Bon, alors. Tu te taperais des heures en jet pour aller rencontrer tes actionnaires à l'autre bout du département ? Bon, alors...
Et, par solidarité avec ton patron, faudra travailler plus longtemps. Sauver ce qui reste de l'abondance de pognon et de profit demandera des efforts.
Je suis sûr qu'il y en a qui ont cru que le président fouettard parlait des ressources naturelles, de l'eau, de la biodiversité, tout ça tout ça. Après cet été instructif, je les comprends. Et ben non, dans la liste ça n'apparaît qu'à la fin, pour conclure sur une note optimiste. Y aura une loi sur le climat, et ptête un numéro vert, pour appeler les gendarmes du même nom. Et puis, là-dessus, on en a déjà beaucoup fait, nous disent les porte-paroles et les porte-flingues. Mais on veut bien en re-débattre en grand.
Le ministre de la justice a déjà installé une retenue d'eau dans la cour de la prison de Fresnes, et celui de l'agriculture fait pomper ce qui reste dans les nappes pour remplir des bassines contre la sécheresse et la culture des maïs de l'an prochain. C'est de l'anticipation non ? Si on a asséché les terres près du marais poitevin, c'est bien pour les arroser non ? Alors...
Promis, à la rentrée, les pompiers et les agriculteurs se réuniront en commission. Dans le cadre des économies, ils envisageront sûrement de pouvoir utiliser les canadairs pour l'épandage de pesticides. Ce serait bête qu'ils restent au frais dans les périodes où ils ne sont pas utilisés. Peut-être qu'en échange, on agrandira les bassines, pour pouvoir écoper dedans. Voyez bien que la réalité du terrain et les rencontres amènent les idées. Le Ministre de l'écologie nous le répète en permanence, lui qui en manque. Les territoires, y a que ça de vrai. Tenez, la chasse... mais je m'égare.
Elisabeth va nous borner tout ça, et fissa.
Et, bien sûr, le ministre de l'intérieur et des colonies veillera à ce que la grogne des insouciants ne se manifeste pas.
L'abondance, c'est fini. Alors, les augmentations de salaires, pensez ! Même pas la peine, ça coûte. Et puis, au cas où vous n'auriez pas vu, sur le sujet, entre un Chiotti et une Marine, le Medef a trouvé ses alliés. Tant qu'y aura trop d'immigrés basanés ici, on n'augmentera pas le SMIC. Ils enverraient le pognon en Algérie. Fini l'opulence migratoire. Zemmour s'est même inquiété de la sécheresse et des canicules. Il a eu peur que la Méditerranée s'assèche et ne remplisse plus son office.
Non, moi président, je n'aurais vraiment pas dit les choses comme ça.
J'aurais commencé par dire que le capitalisme, drogue dure, sa finance et ses profiteurs, ont tellement profité, dans le siècle dernier, à la fois du stalinisme triomphant des goulags, des fascismes et du nazisme génocidaire, pour nous fourguer ensuite l'idée d'un glorieux monde d'abondance, où il suffirait de se servir, comme sur l'arbre où repousse la pomme d'or, que cette idéologie a remplacé tout, colonisé les esprits, rempli les banques, pillé la planète, mondialisé la prédation. Le capitalisme EST devenu l'histoire.
Dans les années 1968, cette "abondance" était vilipendée comme "société de consommation". Mais, peu après, un capitaliste disait "la lutte des classes existe, et c'est nous qui l'avons gagnée". On décréta la fin de l'histoire, promu le nouvel i Phone, accentua la division du travail et le grand déménagement perpétuel de la marchandise, et le ON devint la norme, l'actionnaire l'abondé.
En fait, nous portons les cornes d'abondance de ce monde capitaliste qui nous a rendu cocu. Bien fait pour notre pomme, dirons les un.es, faut arrêter avec cette insouciance, diront les autres, mais pavé en main.