La gifle

gifle

Torgnole, claque, taloche, giroflée, calotte, soufflet, beigne, mornifle, mandale, tarte, il y a bien des manières en somme de recevoir une gifle.

Et puisque chacun.e y va de son récit ou anecdote, je m'en vais vous en conter une.

Je suis de ceux qui peuvent dire, passé septante années, n'avoir reçu qu'une seule baffe de son père. Pour un môme né à la campagne, qui plus est dans une famille ouvrière plutôt dans la dèche, je trouve cela aujourd'hui quasi exceptionnel, d'autant que la violence fut omniprésente dans mon enfance, et que les "sixties" sont tout autant connues par leurs guerres que par leurs cheveux longs.

La guerre d'Algérie débute officiellement en 1954 et sa fin est datée 1962. Et mes yeux d'enfant ont donc vu partir des "grands", mal fagotés dans des uniformes aux couleurs des vieilles capotes qui eurent cours dans l'armée française jusque dans les années 1980. Ces mêmes "grands", fils de paysans ou d'ouvriers agricoles avaient parfois exceptionnellement des "permissions" et paradaient alors dans les campagnes, fiers de leur oripeaux militaires et du devoir accompli. Ils "cassaient du bougnoule". Il m'a fallu bien des années et des questionnements ultérieurs, pour comprendre une scène qui m'avait alors marqué.

Un jeune en permission était venu saluer mon oncle et mon père, et racontait des histoires de fourgons militaires, qu'il conduisait en Algérie, et se plaignait d'avoir à nettoyer les planchers de ceux-ci après chaque transfert de centres de détention en salles d'interrogatoire. Le même jeune ponctuait ses propos d'un "t'aurais vu la gueule des...". C'est du moins ce que ma mémoire reconstitue. Mon père avait alors prononcé un "salaud, fous le camp" et avait fait de grands gestes exprimant une colère. Pas de gifle, pas d'horions, juste une colère qui semblait remonter du plus profond. La même que j'avais entre-aperçu, quelques années plus tôt, alors que ma mère lui reprochait d'avoir laissé traîner un journal, lui qui ne savait pas lire, où s'étalait en Une une image du film "Nuit et brouillard". "Le gamin aurait pu voir ça !"avait-elle prononcé. Et, effectivement, je l'avais vu. Mais je n'avais rien compris à cette image de corps squelettiques et dénudés, entassés comme du bois mort, en noir et blanc.

Je n'ai eu l'explication de tout cela que bien plus tard, lorsque j'obtins de mon père qu'il me raconta ses vingt ans, et quelques bribes à propos de réseaux de passeurs concernant la "ligne de démarcation", et le sauvetage de familles juives. La colère à laquelle j'avais malgré moi assisté à l'époque avait remplacé la parole. J'avais le droit de connaître "ça", dont la période s'ingéniait à taire encore.

Voilà donc deux anecdotes, que j'ai rendues courtes, pour apporter un contexte "paternel" à la giroflée qu'il me donna un jour, et dont je me souviens encore. Voici la suite.

Campagne de Beauce, à 20 kilomètres de Chartres, années 60.

Je me rends chaque jour que l'école communale fait, à vélo, pour apprendre fondamentalement la morale, le calcul, l'écriture et la lecture, dans une classe où s'entasse toute la marmaille du coin, à immense majorité paysanne, du moins ceux du bas. Je vous raconterai un autre jour la transformation profonde de ce monde, dans ces années là, et l'apparition des grosses machines et des bidons à tête de mort avec lesquels on jouait et qui laissaient encore s'écouler leur jus verdâtre. En quelques années, mes parcours à vélo se sont dépeuplés de leurs haies déjà rares, de leurs bosquets, et les champs à perte de vue se mirent à sentir le "chimique". C'était "remembré", et costaud.

Bref, ces autres gamin.es dont le plaisir était parfois de tuer les chats, me toléraient sur leurs territoires, moi le fils de prolo de la petite maison louée en sortie du hameau. Pour me faire goûter les plaisirs de la ferme, j'avais droit parfois à quelques bouses lancées avec précision, voire quelques bouchées de crottin, que je recrachais ensuite. Ambiance "guerre des boutons".

Je ne m'explique mes succès scolaires que par ce besoin de m'évader de toute cette merde, cette "violence présentée comme naturelle", où les gosses de mon âge voyaient les "grands" détruisant leurs espaces, tuant la vie, chassant le "nuisible". Faire fumer un crapaud devint même impossible, les mares étant bientôt comblées une à une, les chevaux conduits à l'abattoir.

Je lisais les livres de la bibliothèque de l'école, j'apprenais par coeur les affiches "Rossignol", tout en acceptant lors des récrés de figurer pourtant parmi les "prisonniers" que des plus grands du certif faisaient défiler au pas.

Le maître d'école me remarqua avant le curé, et cela décida de mon avenir.

Le collège ne fut mis en place qu'au milieu des années 1970. En 1960, on parlait tout juste de Collège d'Enseignement Général, comme alternative à la voie royale du fameux "Certificat d'Etudes". Le lycée était alors réservé à des enfants de classes sociales aisées, et y entrer en 6e supposait de montrer patte blanche et portefeuille. L'ascenseur avait un petit côté payant.

L'instit s'acharna pourtant, sans pour autant me démontrer d'affection particulière, qu'il réservait à ceux qui lui fournissait des oeufs. Je lui en sait gré d'avoir fait son boulot de "hussard de la république".

Je me retrouvais ainsi, fin 1961, intégré dans une classe de 6e, dans un lycée de Chartres, dont l'internat n'avait rien à envier au "Petit chose". Déporté en internat à 20 km de chez moi, à onze ans, rendez-vous compte ! Et pourtant j'y découvris un autre monde.

Les internats de l'époque étaient souvent une "punition" que la bourgeoisie infligeait à leur progéniture, après qu'elle eut démontré largement son incompétence scolaire, à répétition. Ces lieux regorgeaient donc de "parisiens", suffisants et vulgaires à la fois et, cerise sur le gâteau, racistes à souhait en ces temps de fin de guerre d'Algérie. A Chartres, on y trouvait aussi quelques fils de diplomates, vu la proximité de Paris. C'est ainsi que je me liais d'amitié avec un marocain, perdu comme moi. Cette amitié marqua le début des "ennuis".

Pas de crottin de cheval cette fois, mais plutôt les coups de sabot.

Un rituel du soir s'établit alors que chacun se déchaussait dans le "ciroir", pièce attenante au dortoir collectif, où l'on échangeait nos godasses contre une paire de pantoufles. Mon ami se faisait à ce moment copieusement traiter de "bourricot" tandis que d'autres le rossaient à coup de chaussures. Et je ne vous raconte là qu'une des péripéties qui ponctuaient les journées de mon ami, le fils de diplomate. Impunité garantie, le "bougnoule" savait se tenir, et l'époque était plutôt à l'Algérie française & Maroc réunis.

Bref, un jour, j'ai craqué. Je n'ai pas supporté davantage d'assister impuissant à ces lynchages, d'autant qu'à plusieurs reprises j'en fus victime à mon tour, la nouvelle de ma condition sociale ayant été éventée, mes pyjamas n'étant pas de pure flanelle.

J'avais préparé mon coup et, à l'heure où les cours terminés les internes se regroupaient pour le "goûter", dans une coursive du lycée, j'ai profité d'une bousculade pour mettre à terre un des leaders de la bande raciste, "pied-noir aisé" récemment arrivé. Coups de pieds, coups de poing, je ne m'étais pas senti ainsi libéré depuis longtemps.

Vous n'appréciez pas cet éloge de la violence ?

Croyez moi, je ne me suis pas senti "digne et courageux" pour autant.

Il fut ainsi décidé en haut lieu par un "Conseil de discipline" d'exiger que je présente mes excuses et que je fasse acte de contrition devant toute une classe et les parents, dont les miens, en présence du Proviseur en personne. De quoi pourrir toute une quinzaine, surtout que j'avais été privé de sortie le dimanche qui suivait.

La cérémonie se déroula devant une salle pleine, la salle de Sciences ayant été choisie à cet effet, et je fus installé sur l'estrade, face à un raciste cabossé. Je n'en rajoute pas, mais le squelette de service avait l'air de se marrer.

Discours, morale, demande d'excuses expresses alors même qu'on me disait qu'on ne "pouvait m'en trouver aucune".

Au moment du serrage de mains, et alors qu'on me demanda de m'exprimer à voix haute et claire, j'ai refusé de quitter ma chaise. J'ai même senti que je faisais corps avec elle.

La sentence tomba. J'étais viré.

Le flot des présents s'écoula vers la sortie, et je retrouvai alors mon père et ma mère, sans savoir ce qui allait m'arriver. La réponse ne tarda pas. Mon père m'asséna une mandale, du plat d'une main qu'il avait particulièrement épaisse.

Puis il se tourna vers ma mère et dit à voix haute, à la cantonade, comme on me l'avait exigé "De toutes façons, il avait raison !"

Toutes ressemblances avec des événements récents seraient impossibles et déplacées.

Voilà, c'est mon blog et je peux aussi y raconter "ma life".

Avec un titre pareil, vous pensiez que j'allais vous conter des histoires d'Adrien ?

Mais, si vous le voulez vraiment, moi qui connais la musique, je peux vous dire que cela m'est totalement égal qu'il soit un bon batteur ou non. Je suis plutôt Marie Trintignant dans ce domaine.

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