L’enfance, c’est bidon

Beauce bidon

J'avais promis de parler des bidons de mon enfance, de leurs étiquettes à tête de mort vertes, et de la disparition progressive des jeux de cache-cache.

Beauce – Années 1950/60

Dans ces années là, un ministre barbu, un certain Pisani, devenu fauxcialiste de son état, tendance IVe république, se retrouva nommé ministre de l'agriculture dans le gouvernement du très à gauche et gaulliste Michel Debré. Il officia ensuite avec Pompidou. On lui doit, entre autres, le productivisme agricole, et donc les lois sur les "remembrements".

Pour celleux pour qui le mot reste un mystère, disons qu'il s'agissait de préparer le terrain au regroupement des parcelles cultivables, assez morcelées, et encore souvent bordées par endroit, afin de créer de larges espaces où faire travailler des machines "modernes", et rentabiliser le travail de la terre, pour "nourrir tout le monde".

On attendit pourtant le retour des colonies des "chasseurs de fells" pour ce faire.

Dans un milieu où la propriété foncière, et l'attachement au "champ du grand-père", étaient prégnants, faire en sorte de créer de grands espaces, en retraçant les cartes, en redessinant les cadastres, était une gageure. Avant, on regroupait les terres par mariage.

Cette "réforme" avait déjà été précédée de "regroupements" exemplaires, en Beauce notamment, effectués par les "grosses" fermes, qui avaient commencé à arracher haies et bosquets au sein de leurs propriétés, bien en amont, tout en s'agrandissant par le rachat à bas prix, de fermes qui n'avaient pu retrouver d'exploitant dans les années 1950, du fait du grand exode vers les villes et vers des métiers ouvriers plus lucratifs d'après guerre. Certains d'ailleurs avaient des besoins pressants de se faire oublier, en ce début des 30 glorieuses.

Gamin, j'ai donc assisté progressivement à la transformation d'un paysage autour du village, dont nous connaissions le moindre des talus herbeux ou des culs de mare où trempaient des saules.

Les potagers eux-mêmes perdaient leurs lisières de haie où, en fin de printemps, je me goinfrais de guignes acides.

L'ouverture de tous les possibles.

J'apprenais de nouveaux mots, gros et petits : drainage, déraciner, défricher, déroquer, qui commençaient comme mon prénom, où des expressions comme "vous vous foutez de ma gueule", en tournant autour des regroupements où se discutait la loi du Pisani, en paires de bottes et bérets réunis en cercle. La casquette n'arriva que plus tard, avec les tracteurs et les retours d'Algérie.

Il fallu bien sûr des machines, pour préparer la place aux machines.

Au début, ce furent de vieux GMC kakis, vestiges des années précédentes, qui servirent de haleurs, pour l'arrachage. Leurs bourdonnements suivis de rugissements lorsqu'une souche ne se laissait pas faire, devint familier dans la journée. Il nous devint aussi interdit le jeudi et en fin de semaine de traîner autour, les câbles de traction rompant souvent.

Les chevaux, promis à l'abattoir, s'y étaient exténués avant eux, et, pour certains malchanceux, parce que roués de coups, avec de grands "hue", "tyouk", "arcu", s'étaient abîmé la carcasse.

Il faut dire que la rage de devenir "moderne" et d'acheter bientôt le tracteur, en avait saisi plus d'un, parmi les plus jeunes. Les chevaux du père étaient promis au boucher, le crédit, vanté par le "parisien" de la banque.

Vous allez me dire que je décris là une réalité qui n'étaient sans doute pas si noire, et que je crache un peu sur mon enfance, rétrospectivement.

Celui qui n'a jamais assisté à une séance de coups portés à un cheval exténué, donnés devant des mômes de moins de 10 ans, par un père connu pour avoir la main leste sur sa petite fille et le poing dru sur sa femme, ne peut pas comprendre effectivement mon peu d'attachement à cette enfance là. Ce même paumé du village, qui continuait à cracher par terre, au passage du Belge, un "étranger", qui avait racheté une ferme minuscule, quinze ans plus tôt, parce que non reparti après l'exode de 1940. Il y élevait des canards, en Beauce, l'étranger de Bruxelles. J'ai compris bien plus tard pourquoi mon père détestait l'ex-para déjanté de retour, réformé.

Ce qui avait déjà quitté les paysages, peu avant, c'étaient ces drôles de cabanes en bois sur grandes roues, que trimballaient dans les chaumes les derniers bergers de Beauce. Eux avaient des moutons et des chiens du même nom, et, chapeaux et manteaux qui durent servir pour modèle d'"Il était une fois dans l'Ouest".

Mais je m'égare, dans ce western beauceron.

Pour parodier un écrit connu, je dirais "c'est alors que disparut le renard".

Minots, nous avions aussi pour habitude de nous rendre le soir, à la lisière du petit bois qui barrait l'horizon près du hameau, et le séparait d'une grande ferme de Beauce à l'ancienne, dont les frondaisons portaient son nom. Habitait là, comme un seigneur des lieux, avec des hectares qui en faisaient baver plus d'un. Il employait aussi à l'année, et faisait venir aux saisons des "bretons", qu'on retrouvaient souvent l'hiver, dormant dans les fossés, parce qu'ayant bu leur paie et n'ayant pu rentrer chez eux. Ils s'engageaient aussi dans les "batteries", après les moissons, ces "gars de batterie" qui suaient sang et eau en montant les sacs jusqu'aux tomettes des greniers, qui sentaient le pipi de chat.

beauce

Cette grande ferme eut le premier tracteur moderne. Un teuf teuf "Société", vert à liserés jaunes, et poulie sur le côté, pour les batteries justement. Et elle avait, bien avant les Pisani, regroupé ses parcelles.

Restait ce bois, qui s'ennuyait là.

Pourquoi y allions nous, au coucher du soleil ? Et bien parce que toutes sortes d'oiseaux rentraient en bande y dormir, et que le spectacle remplaçait la télé noir et blanc que nous n'avions pas. Ma mère n'en possédait que la pendule, que j'ai toujours, enfin, une réplique postérieure sur formica. Vintage on dit non ?

Voyez bien que je fais maintenant moins dans le Zola de "La terre" ! Bon, je ne vous raconterai pas les souvenirs de jour de pluie où, quand je m'abritais sous l'avancée d'une porte, celle-ci s'ouvrait, et un bras me poussait ailleurs, vigoureusement. La Beauce était terre amicale, en ce temps là.

Bref, le bois de la grande ferme fut "déroqué" à son tour, bien que le terme fut mal employé. Ses "évérieaux" furent éradiqués, parce que drainés. Ils revinrent quelques années plus tard, du fait des labours profonds, devenus tendance.

Je me suis toujours demandé comment ce mot s'était formé. L'ieau, je savais. C'était comme pour le sieau de lait qu'on donnait au vieau. Mais pourquoi "ever" ? Pour une flaque d'eau qui ne veut pas disparaître en plein champ ? Que je sache, aucun n'avait appris l'anglais, et d'ailleurs les quelques un.es qui connaissaient des mots d'une autre langue se gardaient bien de s'en souvenir, même s'ils en avaient gardé des casques, pour donner de l'eau aux poules. Tout ça était oublié. On avait tondu à Chartres, on avait résisté, c'était oublié !

Le ruisseau où on s'arrêtait au retour de l'école, et qui ne coulait que l'hiver, entre deux grosses pierres restées là, ne coula plus non plus. Les pierres furent explosées ensuite, et finirent par reconsolider des murs de granges. De vrais fossés rectilignes apparurent le long des routes, autour desquelles poussa l'herbe à lapins, un temps, enfin, avant qu'apparaissent les bidons.

Mais je vais trop vite.

Différentes sortes de tracteurs modernes se succédèrent, dont les marques "Farman" et "Renault" me sont restées en tête, après le "Société", devenu obsolète en quelques années, les "batteuses" tractées ayant fait leur apparition.

On bricola des remorques en inventant des attelages ingénieux pour les anciennes charrettes à chevaux. On s'improvisa soudeurs, et forgerons et charrons fermèrent leurs ateliers. Le pneu de remorque remplaça la roue cerclée et, sur les chemins, les petites ornières qu'elle laissait furent comblées avec des cailloux. Fini de marcher, l'été, en laissant traîner sa godasse, au fond de ces rails remplis de fine poussière, pour la voir s'envoler derrière soi, en grand seigneur des steppes.

Un autre plaisir se volatilisa aussi.

Mon père faisait une deuxième journée de travail, à quelques kilomètres, après l'usine, dans la ferme de son frère. Il m'y transportait sur le cadre de son vélo, malgré les interdictions de ma mère. En fin d'été, nous nous arrêtions, au retour, et à la nuit tombée, près du "château d'eau", entouré d'un muret. Il y avait là autour un jardinet minuscule, mais planté de fruitiers. J'ai appris le chapardage à ce moment là.

Quelques années plus tard, la murette fut mise bas, les fruitiers coupés, le terrain labouré et semé de blé. Je ne peux dire à qui il avait échu lors du "remembrement". Même les plus chouettes souvenirs, ça te prend une de ces gueules...

Oui, le bidon vert... Il survint en même temps que des affiches où figurait un ver blanc géant, sur le mur à côté de l'école. La vilaine bête allait bientôt être éradiquée.

Désolé, mais je vous raconterai la suite une prochaine fois, et j'y repense maintenant, je ne vous ai pas parlé de la chasse au hanneton...

A suivre...

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