Populisme, le « passe plats » de l’extrême droite

populisme

Lors d'un échange récent sur les réseaux sociaux, un internaute que je voudrais remercier m'a soufflé cette image du "passe plats" à propos du populisme. Je pense que c'est une image extrêmement pertinente pour se questionner.

Pour "populisme", dans le meilleur des cas, on trouvera cette définition : "Discours politique s'adressant aux classes populaires, fondé sur la critique du système et de ses représentants." Mais, le plus souvent, on lira celle-ci aussi : "Approche politique qui a tendance à opposer le peuple aux élites politiques, économiques ou médiatiques."

Si vous en avez le temps, en quelques clics sur le web, ou dans les bonnes librairies, vous trouverez une littérature abondante sur les origines et acceptations du mot "populisme", et son emploi tantôt en "positif", désignant tout ce qui a trait aux revendications "populaires" et, ce qui est avéré, son emploi revendiqué par l'extrême droite, allant jusqu'à forger la caractérisation de "national populisme", dans la bouche des membres fondateurs du Front National, encore jusqu'à une période récente, incubateur principal de l'extrême droite française.

Considérer le populisme comme "une idéologie qui oppose un peuple considéré comme une entité unie, même si non consciente de ses intérêts communs, à un ensemble d'élites et autres groupes d'intérêts particuliers de la société, accusés de priver le peuple souverain de ses droits, de ses biens, de son identité, et de sa liberté d'expression", me semble être une formule qui ne déforme pas la pensée de celles et ceux qui développent ses thèses politiques ici.

Et personne ne sera étonné du fait que ces thèses aient, peu à peu, à gauche, remplacé la grille d'analyse marxiste, et son marqueur de classes. La chute des murs, le dévoilement des caricatures de communisme, les gains politiques du néo-libéralisme dans la mondialisation capitaliste et l'impensé de l'effondrement du bloc stalinien sont essentiels pour comprendre ces glissements. La grille de lecture marxiste,  figée dans le marbre par un demi siècle de stalinisme, et rendue par cela incapable de penser toutes les crises et évolutions capitalistes des cinquante dernières années, est quasi devenue une "peste intellectuelle", que ne fréquente plus guère que des communistes libertaires ou de vieux survivants dans mon genre.

Le "there is no alternative" a trouvé de fait, devant lui, majoritairement une caricature décliniste de "no future", parfaitement adaptée aux codes du marché capitaliste et à la compétition individualiste qu'il développe, alors que l'ordre du jour aurait imposé, même de façon déchirante, une remise en cause radicale de ce qu'avait produit le stalinisme, sans renoncer pour autant au combat anticapitaliste. Je mets de côté toutes les réponses sociales démocrates qui furent les acteurs/complices volontaires de cette mise au pas capitaliste, qui suivit l'implosion des blocs. Les "socialos" ont fait le job. Aujourd'hui, c'est ce qui se présente comme "gauche de la gauche" qui endosse le costume populiste, et se positionne en "ayant droit", sans inventaire de l'héritage.

Un aparté à propos du "libertarisme", qui est un autre avatar de ces effondrements idéologiques, et la face inversée du néo libéralisme. Transformant le concept de liberté en absolu, dans une compétition darwinienne, où changements et mutations seraient le résultat d'une liberté d'être et d'entreprendre, et non élan social commun et humaniste, sa fausse critique du système et des états, centrée sur l'absolu de la liberté individuelle, s'accommode du marché concurrentiel. Ce "libertarianisme" est cependant très courtisé par les populistes, qui cherchent à s'y associer. Ce fut le cas, de façon flagrante, aux Etats Unis, berceau historique de cette idéologie.

Mais ce serait une erreur grossière que de penser qu'il y a là des idéologies structurantes, issues de groupes ou d'influenceurs politiques, théoriciens à l'oeuvre dans l'ombre. Là où règne la confusion, l'impensé collectif de l'histoire humaine, face aux crises, économiques, écologiques, et politiques, alors que l'humanité cherche à satisfaire ses besoins vitaux autant que les intérêts particuliers, les volontés de pouvoir des uns s'emparent de toutes les stratégies pour parvenir à leurs fins, et guider les autres dans le sens de leurs intérêts, capitalistes en l'occurence. Le populisme, à gauche, promeut donc une "insurrection populaire", contre les politiques en place, (mais on cherche sa radicalité anticapitaliste), et attise davantage les notions de "redistribution équitable" et la dénonciation des "accapareurs de richesses", via des propositions de politiques étatiques qui seraient régulatrices pour le "peuple" et le "partage". On reste, somme toute, derrière un habillage radical, engoncé dans un costume populiste, dans des propositions de "changement" que n'auraient pas renié des sociaux démocrates d'antan. L'électoralisme se travestit en "révolution citoyenne" où, entre deux échéances, on fait "converger les luttes".

Et s'il faut faire appel à un peuple imaginaire, présenté comme moteur qui activerait toujours le bon sens de l'histoire, contre des élites et des oligarchies qui confisqueraient droits et richesses, on n'hésitera pas à pousser le bouchon au maximum.

Cette notion de "peuple" d'abord, qu'on ne considère pas dans sa diversité, mais comme uni par un sentiment de faire "nation souveraine", doit être interrogée. Car arrive vite alors les mots "patrie", "identité", "racines"... entre autres. Et le drapeau qui va avec, bien sûr. Ne nous inquiétons pas, nous dit-on, tout cela est garanti "républicain". Les prétendants au pouvoir politique, qui  partagent toutes et tous ce même vocabulaire, se disputent donc alors un peuple fantasmé comme un tout, tout en se présentant contradictoirement comme les meilleurs défenseurs de ses intérêts particuliers, tour à tour déclinés selon les circonstances et les besoins politiques, (ou le balcon d'où on parle), le tout enrobé dans la devise républicaine. Bien sûr, cela ne fonctionne que dans le cadre de l'électoralisme et de ses parts de marché. Est-ce alors populiste que de dire que, chaque fois, des membres éminents de l'élite, avec un pas de côté, en appellent au "peuple", pour prendre ou conserver leur pouvoir ? Ce serait je crois, l'essence même de la dite "démocratie". Le pouvoir au "peuple" au travers de "ma" personne, présenté comme "démocratie représentative". Le tout clamé haut et fort. "La république, c'est moi !".

Ce populisme là, revendiqué comme tel d'ailleurs, "dans populisme il y a populaire" "qu'y aurait-il de mal à se revendiquer du peuple ?" "Pour et par le Peuple", jusqu'à vouloir "L'union populaire" ou redonner "le pouvoir au peuple", vous le connaissez bien. S'il laisse, fort heureusement, à l'extrême droite, "l'identité et les racines", il a cependant en quelques années remplacé l'oeillet rouge par le drapeau national et ses trois plis. Il puise son imagerie dans celle de la "révolution française", tout en célébrant Jaurès et la Commune à l'occasion, et en gardant l'ancien "vocabulaire de la gauche" à usage interne. Nous voici à la gauche de la drôche.

Ces rappels pour moi ne sont pas gratuits.

Et, comme je sais que je vais m'attirer les foudres, en pleine campagne électorale, du camp des Insoumis, je précise que ce type d'article n'est pas une attaque électorale, mais une réflexion à clavier rompu, basée sur des cheminements que j'ai partagés depuis un demi siècle, à gauche, pour faire court. Je réfute donc à l'avance la caractérisation d' "ignorant" qui pourrait fuser. Mon pavé n'est que de mots. Et regarder de près le populisme, comme forme politique, n'est pas exactement renier les propositions de tel ou tel, mais la façon délétère de les mettre en scène. Car le terrain mouvant du populisme, avec sa stratégie attrape tout, opportuniste à souhait, agit volontairement comme le doigt qui pointe la lune, et oublie la prise de conscience en chemin.

Je n'ai ni science infuse, ni clairvoyance de devin. Je regroupe simplement, en tentant d'y mettre un peu de logique intellectuelle, à la mesure de mes propres errances vécues, toutes les interrogations et doutes que je lis ou entend, dans le vivier asséché de la "gauche".

Et, comme les polémiques sur les réseaux sociaux, activées dans le jeu concurrentiel de l'élection à venir, suscite bien des débats, cela a renforcé mon "sentiment" que le populisme politique y était pour beaucoup.

"Capital", par exemple, même si un stalinien célèbre n'avait que ce mot à la bouche, a davantage de clarté que "finance et financier". Je fais allusion là à une polémique récente, où les choix sémantiques prêtaient le flan aux accusations d'antisémitisme qui, même infondées, soulevaient quand même l'existence d'un inconscient collectif qui ressurgit dès lors où des raccourcis populistes ont cours.

Parce qu'il s'agit bien de cela.

Vouloir traîner ses guêtres sur le terrain idéologique conquis par l'extrême droite, sous le prétexte de ne pas lui laisser un monopole auto-proclamé, en reprenant les codes populistes, c'est créer, non de la conscience, mais de la simple concurrence électorale sur les colères. Avec le même brio, cette surenchère se fait pour les gilets jaunes, les anti-vaccins, tout ce qui bouge et bougera. Foin de la réalité des rapports de forces entre les capitalistes et les anticapitalistes, écrasants pour les premiers, plutôt que chercher à créer de la conscience, on travaille pour les sondages électoraux. Alors, même si le programme de la gauche de la drôche est aux antipodes de celui de l'extrême droite, c'est finalement avec elle, et par rapport à elle, que l'on joue une "compétition". Hier encore c'était sur le "souverainisme", terrain où le nationalisme excelle.

Oui, on peut effectivement penser que la gauche de la gauche passe les plats à l'extrême droite, alors que déjà, pour cette compétition institutionnelle, l'actuel pouvoir l'a placée au centre, pour profiter au mieux des biais électoraux.

Le risque couru là, c'est, qu'en plus des espoirs déçus (les miens tout autant), les colères qui subsisteront après cette passade électoraliste, s'expriment sur les fondamentaux de l'extrême droite ensuite, on ne les connaît que trop, et que le Capital profite de la crise pour pousser encore ses feux, après cet arrêt pandémique.

Une des crises majeures, celle de la destruction progressive des conditions de vie sur la planète, par un système capitaliste prédateur, qui est dès aujourd'hui à la fois révélateur et amplificateur, se trouve de fait réduite à argument de programme électoral, voire même enseigne de boutique. Là aussi, le risque est que dès demain, les replis sur soi politiques réduisent à néant tout effort de "mondialiser" cette crise, et d'en faire à la fois un moteur de lutte anticapitaliste et la construction de réponses où la planète, le vivant, les ressources, seraient  mises au service de la protection et du développement du vivant, et où l'humanisme serait avant tout la conscience de faire partie d'un tout.

Je sais, je sais, tout cela est dans le programme et je devrais le lire. Je sais aussi que je n'ai pas abordé les questions intersectionnelles, pour faire court, ni la laïcité, ni les violences policières, ni les guerres, ni....

Reste qu'aller chercher le drapeau du populisme n'a rien d'une garantie, car c'est celui du suivisme, plus que de la conscience.

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