"Les petits des grands-ducs seront seuls dans leur nid cette nuit..." C'est sur cette phrase que j'ai quitté le documentaire du dimanche.
Une phrase qui respire le petit chaperon rouge et le petit poucet, en même temps. On sent tout de suite qu'il va se passer quelque chose, et la voix profonde du récitant qui l'énonce, renforce l'impression, que l'image d'un ciel assombri sur l'écran plat annonçait déjà. En quittant la dalle, j'ai donc fuit l'insoutenable.
J'aurais pu zapper. Et rester là, le cul dans le canapé, à martyriser mes lombaires, et contempler au hasard le vide numérique d'un programme du paysage audiovisuel, sur une autre chaîne. Faire un truc de vieux quoi !
Et c'est ce que je fis pourtant un instant plus tard, libéré de mes frayeurs enfantines, remontées en surface par cette nuit tombant sur les "Monts Métallifères". Même pas peur !
J'ai alors eu le choix entre un Nosferatu échappé d'une chaîne d'info, une blonde que j'avais vue déjà dansant une valse avec un néo-nazi notoire, et des politiciens parlant républicains d'aujourd'hui, en phase avec les valeurs actuelles. Rien que des Grands Ducs, à l'affût de pitance électorale.
Etonnant que la nuit des longs couteaux ou celle de cristal m'effraient moins qu'un crépuscule sur des friches industrielles antiques, repeuplées d'une bio diversité revenue, et filmée au raz des herbes.
Le brun est de retour. C'est un mélange de vieux rouge, de bleu, et de jaune vivace, comme chacun sait, en proportions à respecter.
Mon enfance vécue entre premières images en noir et blanc des "camps", s'étalant sur des journaux qui enveloppaient les légumes, dix ans après, et les conversations de grands au dessus de ma tête à propos de "fellouzes bien amochés, en Algérie", lors d'une rare permission d'un gars du village, auraient pourtant du me préparer à cette réalité colorée. J'ai souvenir aussi maintenant de cette photographie de Robert Capa, prise dans la ville qui m'a vu naître, "La tondue de Chartres". Même pas peur !
"Libertaille, libertaye chérie", décline la blonde, sous les applaudissements, tandis qu'un jeunot au nom à consonance "étrange" monte à la tribune. C'est le bordel là ! Je me réveille de mon cauchemar, où grands ducs bruns, petits aux airs fourbes, et valses brunes, se disputaient à coup de prénoms. "Jordan, Eric, au fait, ça vient d'où ?"
Je dois me ressaisir, et retrouver le courage de sauver ces petits qui resteront seuls ce soir dans leur nid, ignorants du danger qui les guette.
N'ai-je pas, ma vie durant, toujours voulu sauver les veuves et les orphelins ? De gauche quoi !
Et voilà que revoilà, sur l'écran plat de mon dimanche, les zactualités de la semaine, toujours en couleur.
Manifs du samedi, c'est la baisse, Eric Zemmour, c'est la hausse. Encore un peu de jaune, de bleus, côté gauche, et nous serons à l'équilibre.
A Kaboul, les Talibans ferment les frontières. Finalement l'Union Européenne s'en réjouit à demi-mot. Les réfugiés triés prendront l'avion.
On annonce une accalmie sur le "front de la pandémie", et "une inquiétude pour la suite", en même temps. Les guerres ne sont pas finies. Les affaires reprennent.
Et surtout, en cette période de l'avent électoral, plusieurs fenêtres s'ouvrent dans le calendrier, affichant des enrubannés connus, vieux chocolats recyclés d'invendus de l'année dernière. On ne se pressera pas pour ouvrir les suivantes, tant les friandises puent le rance et le renfermé. On attendait de grands ducs, dans leur cavité, on a des rapaces improbables, chimères d'histoire, mi pétain mi maréchal.
Le poisson d'avril de 2022 ne sera pas rouge, même plongé dans l'eau bouillante. J'ignore si les grands ducs aiment le poisson.
Vous trouvez cela absurde ? Moi aussi.
Image de Une à partir d'un dessin de Paul Jouve