Un ex président de la république qui aimait les pommes, avait en son temps lâché une "petite phrase", à propos "du bruit et de l'odeur", pour faire un pas de côté vers une clientèle électorale d'extrême droite xénophobe. Qualifiée à l'époque de "raciste", cette saillie avait fait fureur.
C'était en 1991, à Orléans, devant un parterre RPR, alors que le futur président n'était alors que maire de Paris. Un certain Jean Marie le Pen infusait alors déjà le débat politique français en imposant le thème de l'immigration partout. Le FN était à ce moment là celui du "père gégène", et visait plus les "arabes" que les musulmans, et les juifs par extension et tradition.
Voici un extrait connu du fameux discours de Jacques Chirac :
"Notre problème, ce n'est pas les étrangers, c'est qu'il y a overdose. C'est peut-être vrai qu'il n'y a pas plus d'étrangers qu'avant la guerre, mais ce n'est pas les mêmes et ça fait une différence. Il est certain que d'avoir des Espagnols, des Polonais et des Portugais travaillant chez nous, ça pose moins de problèmes que d'avoir des musulmans et des Noirs […] Comment voulez-vous que le travailleur français qui habite à la Goutte-d'or où je me promenais avec Alain Juppé il y a trois ou quatre jours, qui travaille avec sa femme et qui, ensemble, gagnent environ 15 000 francs, et qui voit sur le palier à côté de son HLM, entassée, une famille avec un père de famille, trois ou quatre épouses, et une vingtaine de gosses, et qui gagne 50 000 francs de prestations sociales, sans naturellement travailler ! Si vous ajoutez à cela le bruit et l'odeur, eh bien le travailleur français sur le palier, il devient fou. Il devient fou. C'est comme ça. Et il faut le comprendre, si vous y étiez, vous auriez la même réaction. Et ce n'est pas être raciste que de dire cela. Nous n'avons plus les moyens d'honorer le regroupement familial, et il faut enfin ouvrir le grand débat qui s'impose dans notre pays, qui est un vrai débat moral, pour savoir s'il est naturel que les étrangers puissent bénéficier, au même titre que les Français, d'une solidarité nationale à laquelle ils ne participent pas puisqu'ils ne paient pas d'impôt ! [...] Il faut que ceux qui nous gouvernent prennent conscience qu'il y a un problème de l'immigration, et que si l'on ne le traite pas et, les socialistes étant ce qu'ils sont, ils ne le traiteront que sous la pression de l'opinion publique, les choses empireront au profit de ceux qui sont les plus extrémistes. […]"
En 1983, "la marche pour l'égalité et contre le racisme" avait été une forte riposte de la jeunesse "issue de l'immigration" à la fois au racisme et aux discriminations qui la frappait, mais aussi pour revendiquer haut et fort une véritable place économique et sociale sans discriminations, et la fin des ghettos en matière de logement. Les syndicats ouvriers oscillaient entre l'empathie démocrate chrétienne de la Cfdt d'alors et les ambiguïté du Pcf très influent dans la CGT, sur "l'immigration qui nuirait aux travailleurs (1981)". La drôche socialiste dériva ce mouvement sur le terrain purement moral de l'antiracisme compatissant, ignorant des revendications sociales, laissant de fait se construire en face un discours de "vérité", raciste, puisant ses racines dans le réel des situations sociales dissimulées par les pouvoirs "socialistes" aux affaires, trop préoccupés de propulser le libéralisme économique à l'échelle européenne. On ne peut pas accueillir "toute la misère du monde", pas vrai ?
30 ans plus tard, une génération de commentateurs/trices, dont beaucoup n'avaient pas dix ans à l'époque, rejouent le discours d'Orléans, dont les effets secondaires ont depuis intoxiqué une large part de non vaccinés contre le racisme et les discriminations, la question sociale étant évacuée comme "ringarde" et "excuse facile". L'effet de loupe médiatique fait le reste. C'est l'effet Zob.
Le débat politique s'est compliqué, car il a été déplacé depuis sur le terrain biaisé des religions et de la "laïcité républicaine", et adossé à une géopolitique terroriste. Ainsi, des thèses qui ne sont pas neuves, sont-elles reprises dans le débat politique, comme celle du "grand remplacement". Cette paranoïa identitaire et suprémaciste, sursaut idéologique face aux crises, semble fonctionner mieux que les petites phrases sur "le bruit et l'odeur", parce qu'elle agglomère avec elle tou.t.es les déçu.es du colonialisme et du néo-colonialisme "républicain" et ses élites "laïcardes", qui se revendiquent "universalistes de gauche". Je ne dis pas par là qu'une Fourest et un Zob font colocation, je pointe seulement comment un "printemps républicain" participe du pourrissement idéologique induit.
C'est l'ensemble de ce pourrissement idéologique et l'odeur qui s'en dégage, qui permet aussi que remontent en surface, dans le marécage d'une élite médiatique en concurrence, des bulles nauséeuses et putrides, qui ensuite empuantissent durablement les débats politiques quotidiens, à grand bruit.
Ce rappel des années 1980, pour simplement dire, qu'une filiation existe bien entre les "manifestations contre les métèques" des années 1930, pour ne remonter que là, et le discours d'un Zob d'aujourd'hui. Et que ce qui importe, ce n'est pas un sondage d'opinion pour tel ou tel, mais de savoir qu'à ses paroxysmes, cette idéologie n'a jamais conduit à un grand remplacement du capitalisme, mais à une variante de sauvegarde.
Je suis conscient qu'en écrivant ces lignes, trop sérieuses à mon goût, je contribue à l'odeur. Aussi je ferai court, et vous renverrais à un article précédent, si ce billet vous semble trop bref.