C'était vers la fin des années 1980. J'avais eu alors l'opportunité de prendre ce que l'on appelle une "année sabbatique". Une connaissance m'avait fait la proposition de "vendre des livres".
Les grandes centrales d'achat se constituaient à peine à ce moment là et les libraires avaient encore un pouvoir de négociation avec les diffuseurs et les éditeurs, sans la concurrence des puissantes chaînes de distribution qui monopolisent aujourd'hui le marché, même dans le cadre du prix unique du livre.
Les bibliothèques, les médiathèques naissantes, encouragées, se voyaient bien dotées, des bibliothèques centrales se développaient par département. Cette période faste des années 1980 pour la lecture publique ne dura pas.
Ainsi, cette connaissance avait-elle créé, dans un contexte favorable, un réseau de diffusion dont les quelques vendeurs, sorte de commerciaux du livre, se déplaçaient directement auprès des bibliothécaires, pour présenter un certain nombre d'éditeurs, dits "petits" à l'époque, et qui sont pour certains devenus grands, ou ont disparu depuis. Nombre de libraires locaux ne les connaissaient que par oui dire, voire pas du tout.
J'avais donc été pressenti pour participer de la petite équipe qui s'en irait présenter des livres aux quatre coins.
Cela signifiait coup de fils, prises de rendez-vous, et surtout déplacements nombreux dans les différentes régions de France, chambres d’hôtels, et bien sûr lecture, lecture de nombreuses petites merveilles qui passaient en dehors des radars de la "critique" et des tours d'ivoire du monde littéraire.
Car, ce qui faisait l'originalité et la richesse du projet, c'est que nous "racontions les livres", devant les bibliothécaires. Enfin, pour la dizaine d'ouvrages pour laquelle nous avions eu un coup de coeur dans le mois, entre deux chambres d'hôtel.
Bref, sans pour autant faire l'éloge de la paresse, je dois dire que nous prenions le temps de faire plaisir et de nous faire plaisir avec la littérature et les livres. Un exercice qui peut flatter un ego masculin à l'extrême, si l'on n'y prend garde, d'autant que la profession de bibliothécaire était très féminisée, je dois le dire, sans pour autant chercher à attirer la foudre. J'avais 38 ans.
Toute cette digression pour simplement aboutir au fait que j'ai, à cette époque, connu et fréquenté de nombreux hôtels dans de nombreuses régions de France, et qui, pour certains d'entre eux, s'avérèrent particulièrement pourris et glauques. Il fallait bien gratter trois francs six sous sur les "indemnités de déplacements" !
Me voici donc à Vannes, devant l'Hôtel bar de la Marine, en Bretagne, comme chacun sait.
Cet hôtel n'existe plus, je me suis renseigné sur le net, et ses murs abritent, aux dernières nouvelles, une société immobilière.
Mais, en cette fin d'après midi de l'année 1988, année d'élection présidentielle, je n'avais trouvé que cet établissement daignant m'héberger pour une nuit, pour pas cher. J'aurais du m'en méfier.
Pas de pompons à l'horizon, mais un couple de gargotiers digne des Ténardiers des Misérables, l'oeil suspicieux et la bouche en coin. Il me fallu toute la persuasion du monde pour obtenir une "note", griffonnée à la main, après avoir réglé d'avance, en liquide.
Une grappe d'habitués était suspendue au bar, et me regardait comme un "parisien" égaré. Les quelques livres que j'avais pris avec moi, en plus d'un maigre bagage, trahissaient encore davantage ma condition de "voyageur" étranger. J'ai compris alors que je venais de retenir une chambre dans un hôtel qu'on qualifiait à l'époque de "meublé", ou garni, si vous préférez, sans étoile ni confort.
En me dégageant des effluves d'alcool, mêlées à l'odeur persistante de tabac froid, j'ai grimpé les deux étages qui menaient à la chambre, avec au creux de la main une boule de cuivre, d'où pendait une clé retenue par quelques maillons noircis.
J'avoue ne pas me souvenir du numéro de la chambre, mais ne pas avoir par contre oublié l'odeur de la moquette bleue, assortie à celle des rideaux et d'un couvre lit "moderne", qui me pris à la gorge. Tout puait dans cette pièce exigüe, du sol au plafond.
J'avais déjà à maintes reprises dormi dans des conditions difficiles et compliquées, mais là, la niche du chien eut été plus accueillante à côté.
"Fils d'ouvrier, ouvrier moi-même", comme dit l'expression, j'ai passé une enfance dans une famille sans le sou, mais fière de rester digne et d'avoir des enfants "propres". Une précision nécessaire. Mais là, c'était le pompon !
J'ai, par curiosité, poussé la porte du "cabinet de toilette" attenant. Fort heureusement les WC et les douches étaient sur le palier. Il n'empêche qu'en ouvrant la porte, j'ai réveillé l'odeur du lavabo.
Et, surprise, alors que j'attendais une glace au dessus de la vasque blanc sale, j'ai découvert le secret de l'hôtel de la Marine.
Je vous le donne en mille, eh oui, un portrait du père gégène, le père de la Marine actuelle qui vogue sur les sondages, trônait en lieu et place du miroir, sans doute pour masquer un raccord de peinture. Une affiche électorale, de celui qui venait de faire plus de 14% en France, en avril de cette même année.
Voici devant quoi l'hôtel de la Marine m'invitait à me raser :
Ce souvenir a remonté en surface, ces jours derniers. Vous en comprendrez aisément la raison.
J'ai voulu le partager, comme mon premier souvenir de Vannes, que j'eu l'occasion d'apprécier autrement par la suite, mais surtout pour exorciser cette période où le brun recouvre tout. Un souvenir, qui, comme un scaphandrier sorti des eaux noires du port, cherche un air respirable.
Lisez l'affiche, vous ne serez pas dépayséE ni projetéE dans un temps incertain, en cette approche de grand messe électorale de 2022.
La Bretagne avait voté à moins de 9 % pour le Jean Marie, pourtant régional de l'étape, et il avait fallu que je descende dans un bouge qui couvait ses petits.
Et, comme le chante Richard Desjardins, "j'ai couché dans mon char".
Cadeau :