Se réveiller avec dans la tête le vrombissement de pales d'énormes hélicoptères, frelons kakis siglés de croix rouges, n'est pas du meilleur goût pour entrer dans une nouvelle année.
Vite, vite, rembobiner le film de ce mauvais rêve qui fut pourtant une réalité d'un 6 août 1993, dans un décor féérique, celui des rives du lac Ramska, à 15 km de la ville de Prozor, en territoire de Bosnie Herzégovine, alors peuplé d'uniformes de l'armée nationaliste croate, verrouillant l'accès vers la ville de Sarajevo, bien plus loin, elle, assiégée par les troupes et milices nationalistes serbes.
Mais qu'avais-je donc mérité pour me retrouver dans cette galère ?
Les deux frelons transports de troupes qu'il n'était guère difficile d'identifier comme étant porteurs de blessés de guerre, avaient surgi d'au dessus des montagnes environnantes, et amorçaient une descente vers les rives du lac, où un convoi disparate de moins d'une centaine de véhicules civils, transportant autour de 400 personnes, campait depuis la veille.
Sans vouloir m'attarder sur des questions d'intendance, je me dois de souligner que 400 personnes faisant du camping sauvage, même en temps de guerre, utilisent en 24h une certaine quantité de papier toilette, rose, blanc ou bleu, peu importe.
Et ce papier toilette commençait à tournoyer dans l'air, sous l'effet centrifuge des pales des engins militaires, en approche du sol.
Je me suis réveillé à ce moment là.
Cette image, qu'Emir Kuzturica aurait pu replacer dans un de ses films, était une représentation des plus merdiques qu'on puisse faire de cette situation de guerre sur fond nationaliste, en plein coeur du continent européen, en cette année 1993.
Et il faut bien dire que ce 6 août, elle n'étonna sur place pas grand monde, puisqu'à moins d'une heure plus tôt, le campement de fortune avait été violemment réveillé par le départ inopiné de roquettes de gros calibre, tirées à partir d'une rive formant le fond du lac. Quelques légers nuages en volutes avaient un temps marqué le bleu du ciel de la matinée, avant de disparaître. Et voilà que s'envolaient ces papiers qui avait servi à recouvrir le contenu d'entrailles des sortes de touristes de guerre, dont je faisais partie.
Tout avait commencé en avril 1993, avec un appel qui reste connu sous le nom de Mir Sada, (la paix immédiatement), appel européen pour la paix qui faisait suite à une marche vers Sarajevo assiégée, effectuée en 1992 par quelques un.e.s, parti.e.s principalement d'Italie, et qui, bien qu'oecuménique, avait alors de fortes motivations religieuses.
Mir Sada, une volonté d'amener 100 000 personnes à Sarajevo, agissant comme bouclier humain pour la paix, avait cette fois eu un écho international, qui dépassait largement des cercles d'humanistes et de religieux, Boudhistes compris.
Cette initiative n'en conservait pas moins un caractère qui, aujourd'hui, la ferait qualifier de bisounours.
Ce qui s'est déroulé en Ex-Yougoslavie jusque fin 1995, et n'oublions pas le génocide au Rwanda dans les mêmes années, a largement contribué à remiser depuis ce pacifisme bêlant aux oubliettes.
N'oublions pas ensuite l'Irak, la Syrie, et même ce qui ici en France faisait l'objet d'une ignorance totale, les exactions, crimes et guerres contre les Kurdes des années 1990. Daech, à la suite, a fini de torpiller toute volonté de tendre l'autre joue.
Quand je parle donc de galère, je dois préciser que j'en étais un rameur volontaire, parfaitement conscient dès le départ de l'inanité de l'initiative, mais toutefois désireux de la comprendre de l'intérieur, et de contribuer, avec beaucoup d'autres, à lui donner une suite plus opérante, au moment des "bilans" qui ne manquèrent pas.
Ce qui s'avéra opérant ensuite, puisque les "comités Bosnie", balbutiants en ce début d'année 1993, se comptèrent plus tard plus d'une centaine, largement fournis, avec cette fois une vision politique capable de dépasser, et de fédérer à la fois, la simple réaction humaniste contre la guerre en Europe.
C'est et ce serait une autre histoire, longue à raconter. Et ce n'est pas mon propos.
Je soulignerais seulement que toute la gauche française cache soigneusement cette période de mitterandôlatrie triomphante, et que bien des vieux cadres de la gogoche actuelle sont issus de ces trahisons honteuses de l'époque, et de la réal politique qu'ils/elles en ont théorisée. Fermez la phrase ! Hormis une petite frange de l'extrême gauche trotskyste et des Verts de l'époque, tous les partis eurent officiellement piscine, et leur descendance s'empressa d'oublier la couleur du maillot.
Il est étonnant que nos droites souverainistes et nationalistes, nos extrêmes droites confuses et fascisantes, ne multiplient pas les voyages vers la Serbie et la Croatie aujourd'hui, et y préfèrent le culte des "Chrétiens d'Orient". L'omerta sur cette période, pourtant documentées par de nombreux ouvrages, le fait qu'elle fut estampillée à postériori par le nom "d'intellectuels" qui s'illustrèrent dans le bourbier libyen ou comme philosophes rances depuis, ne suffit pas à expliquer ce trou de mémoire sur une guerre européenne qui dura plus de cinq années.
Les dizaines de milliers de personnes, voire à un moment centaines de milliers, qui pourtant prirent alors conscience de ce que nationalisme veut dire, et qui le crièrent haut et fort, si fort qu'elles eurent accès aux médias de l'époque, alors que n'existait aucun réseau social, ont été effacées de l'histoire récente européenne. Faites vous même la recherche, vous ne trouverez que des noms de faussaires, ceux là même qui sévissent toujours, comme chevaliers blancs médiatiques.
Mais peut être que cela ne fut qu'un mauvais rêve ?
Il me vient soudain l'envie de le prolonger et d'en faire une farce.
Reprenons cette image de contenu de feuillets flottants dans l'air, sur les rives d'un lac aux eaux bleues. Imaginons ces transports vrombissant parés cette fois d'insignes et de sigles qui fleurissent dans cette présidentielle campagne qui s'ouvre. Un "presidential trip", avec candidat.e.s groupé.e.s bien à droite, et leurs entourages baroques. Il y aurait bien de quoi remplir les deux frelons, et d'acheminer le reste par la route.
Imaginons un accueil avec les vétérants qui ont échappé au Tribunal pénal international, et ils sont nombreux. La région n'en manque pas.
Quelle belle image que ces gens de rien, tourbillonnant dans les airs, enveloppés de papiers bleu blanc rose.
Non, vous ne me suivez pas dans ce nouveau merdier ? Et pourtant, vous avez aussi les pieds dedans.