Alors, que faire en attendant ?

Et que faire en attendant ?

Que faire... l'expression qui rappelle le livre de Vladimir Illitch, réédité aux Editions Sociales en 1966, et que tant d'entre nous, jeunes, ont possédé un jour sur le rayonnage d'une bibliothèque, dans cette version ou une autre.

Que faire ? "Lenine au meilleur prix et d'occasion" m'annonce le google.

Le renvoi à nos années "anti-impérialistes". Celles du refus de la guerre au Vietnam et du soutien à la résistance vietnamienne. Nos aîné.es de dix années avaient eux.elles, lutté contre la torture en Algérie, dénoncé le colonialisme français et sa sale guerre.

Que faire alors ?

Que faire lorsque les amis de Vladimir font une virée amicale en chars de combat à Prague, pour en libérer les habitants des "anti communistes soutenus par l'impérialisme américain", lorsqu'on a 18 ans  ?

Avait-on idée aussi de vouloir y prolonger un printemps jusqu'en août ?

Les héritiers de Vladimir, enmoustachés depuis, pratiquaient une "opération spéciale", eux aussi. On guetta à l'époque la réaction d'un Aragon, d'un Sartre.

Oui mais... "Ces Tchèques quand même, ils s'attaquent au communisme, ils professent les vertus occidentales du capitalisme, celles qui assassinent au Vietnam !"

Fin août 1968, "la Plaisanterie", livre d'un auteur tchèque, Milan Kundera, quasi inconnu, paraît en français.

Il est préfacé par Louis Aragon, qui en profite discrètement pour céder à ses états d'âme à propos de Vladimir. Aragon est alors dans le fruit, et avec lui beaucoup de ma génération qui ne savent plus que faire, depuis qu'en 1968, ils ont assisté, aux premières loges, à une trahison ouverte, de ce qui constituait leur première mobilisation d'ampleur contre la société capitaliste, son monde consumériste et ses guerres, par un parti "communiste" alors omniprésent à gauche.

Oui que faire, lorsque deux ans plus tard apparaît à la tête de ce parti une grande gueule roublarde qui fait bouffer leur chapeau aux déjà premiers éditorialistes de plateau TV et fustige le "Grrand Capitaâl" tout en faisant la promotion de momies héritières de Staline à l'Est ?

Comment, là encore, penser ce qui, en 1979, est présenté comme "une aide à nos frères" en Afghanistan, pour "maintenir la paix" contre des "musulmans aidés par l'impérialisme" ? En somme, que faire à ces moments là, pour s'extraire de la réthorique du "bilan globalement positif" à propos de Vladimir ?

Je n'ai aucun mal à avouer que, du fait d'avoir, dès 1971, trouvé auprès d'un courant trotskyste une grille de lecture du stalinisme, j'ai pu enfin reposer Vladimir et sa descendance sur l'étagère, au bout de quelques années.

Je vous livre la version courte. J'ai quitté la LCR et son monde en 1981, après la victoire électorale d'un Mitterrand, connu aussi pour cette phrase très socialiste en Algérie "la seule négociation c'est la guerre". Et je salue au passage la mémoire d'Alain Krivine, qui est parti devant, mais que je rattraperai, et dont le décès m'a d'un coup replongé dans ces années.

Mais je m'y replonge aussi pour une toute autre raison : cette guerre sur les terres ukrainiennes.

Et tout autant parce que je cherche à comprendre comment les chiens de Pavlov de l'anti-impérialisme s'entendent si bien avec les chiens de guerre de Poutine.

Que je retrouve, de la part de ma génération, ce manichéisme campiste, passe encore. Rasez une moustache, elle repousse. Mais qu'il se soit distillé dans toute une gauche, voire dans les rangs libertaires, me stupéfie, d'autant qu'un Poutine n'a rien d'un ex de Vladimir, sinon le lieu de naissance.

Je lis, j'entends, une réthorique familière que je réfutais déjà au vieux temps de la guerre froide, quitte à me faire taxer d'anti-communiste. Mêmes "oui, mais...", mêmes "et pendant ce temps là on ne parle pas de...", mêmes "main des américains".

Une nuance cependant. La paix de Peppone.

Oui, car il est assez cocasse de revivre cette farce décrite dans cet extrait. A la fois une condamnation molle d'un Poutine, un renvoi quasi dos à dos au nom de "la paix", et un cocorico tout autant assumé.

S'entendre dire, par un porteur de drapeau siglé Pcf, alors qu'on tente de battre le pavé pour un soutien à la résistance populaire en Ukraine et pour l'accueil inconditionnel des réfugiés "rien ne serait arrivé sans l'agression de l'OTAN depuis 8 ans" et "il faut aussi dénoncer les néo nazis qui bombardent le Donbass", avouez que ça a de quoi mettre en colère, surtout lorsqu'il ajoute "les français vont payer cette guerre avec leur pouvoir d'achat".

Je ne m'y ferais jamais.

Et pourtant, que faire ?

Ce qui à petite échelle fut fait par les collectifs de soutien à Sarajevo, dans les années 1990, bien seuls à ce moment là, alors que la sociale démocratie et sa majorité plurielle ne voulaient pas "ajouter la guerre à la guerre" : une solidarité élémentaire tous azimuts.

Ne pas laisser non plus ces images de guerre, de tuerie et de destructions devenir "normales", ne pas s'habituer et constater l'écart qui existe encore entre les sanctions affichées et les intérêts "maintenus", sans céder à la partie de gauche chauvine qui dénonce ces sanctions déjà insuffisantes, au nom du pouvoir d'achat, en choeur avec une extrême droite populiste. Est-il progressiste de défendre les intérêts de Total en ce moment, est-ce une preuve d'insoumission, au nom du prix des carburants ? Et, même dans une perspective de long terme de transition énergétique, cette question du pétrole et du gaz doit être accélérée non ?

La question des armes se pose, bien sûr. Et je n'en possède point. Si l'UE assume là une contradiction en en livrant à la résistance militaire ukrainienne me va, tout comme je n'ai pas craché en l'air quand au Nord Syrien la dite coalition a bombardé Daesh. Et sachons que les libertaires ukrainiens ont là dessus un point de vue qui doit être entendu.

Enfin, l'accueil inconditionnel des réfugiés doit être défendu partout. Et il doit être lié à la lutte existante pour l'accueil des migrants. C'est le moment de faire reculer la xénophobie. En ce sens, il n'est pas inutile de contrer non plus une "russophobie" qui monte, en n'oubliant jamais celles et ceux qui en Russie même manifestent contre la guerre.

Et, bêtement, contrer ici la complotasserie qui se recycle en pro-poutinerie sur tous les réseaux sociaux.

Pas mal de chose à faire, du coup. Alors, vos gueules, les mouettes de l'Oural !

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