Piégés par l’élection à cons

élections

On a tous et toutes joué, dans ma génération, à la "P'tite hirondelle" dans une cour de récré.
On levait le pont et la chenille ribambelle passait dessous, tout en chantant "allez passe passe". Lorsqu'on abaissait les bras, fermant le pont, un garçon ou une fille s'y trouvait pris. On lui posait alors une question dans le genre "fraise ou banane ?", alors qu'on avait préalablement choisi l'un des deux. Le prisonnier ou la prisonnière se plaçait alors derrière le fruit choisi. Et tout cela se terminait comme une sorte de tir à la corde. Rondes et comptines d'enfance.
Ne me demandez pas pourquoi la "P'tite hirondelle", et pour les curieux, allez voir par là.

Pour ce 24 avril, j'avoue, me voilà à nouveau devant ce choix "banane fraise", sans avoir vraiment envie d'y jouer. Quel que soit le côté choisi, à la fin du jeu, on se retrouvait souvent sur le cul, et après à se frotter les fesses, après avoir tiré en marche arrière. Là, ce sera pareil, ma main au feu.

J'avais bien essayé "un deux trois soleil" au 1er tour, pour échapper à la ronde, mais vu la bande de tricheurs à gauche qui avaient joué n'importe comment, personne n'a pu échapper à ce semblant de nouveau choix. "Macron ou Le Pen ?". "Le néo-libéralisme ou le néo fascisme ?". Ben tiens !
Passez un Léo Ferré en guise de comptine, dans le style "ils ont voté et puis après" et vous avez la totale.

Voilà, le piège s'est refermé.

Et tu peux jouer à l’ermite qui vivrait dans l'Himalaya, tout comme tu achètes ta bouffe au Super U du coin parce que tu n'as pas les moyens de t'offrir l'arnaque verte qui te propose à prix d'or des fraises bio du Chili en plein hiver, tu vis bien dans un monde capitaliste, et mondialisé. Et, quand un impérialiste russe décide de génocider le peuple ukrainien, le prix de ton assiette de pâtes en prend un coup.
Et bien, pour la pseudo démocratie élective, c'est pareil. C'est l'abstention qui devient ton piège à cons, car quoi que tu fasses, ce que la grande majorité aura décidé à ta place, tu le mangeras le lendemain, au prix fort.

Oui, parce que l'Etat, tu peux bien le conspuer, ses flics eux se rappelleront toujours à toi à la première occasion. C'est une image, bien sûr. Et un "vu à la Sorbonne", mais de 1968. Contre le système, tu restes DANS le système. Et quand il décide de changer de peau et de tenter une mue fascisante, ce qu'il a déjà commencé en peuplant quelques rues avec ses nervis qui font de l'exercice, ou pire, en infusant ses théories racistes dans un cerveau sur deux, tu te trouves démuni quand la période d'abstention fut venue.

Parce que ce n'est ni au délégué de classe, ni au député à qui tu confierais connement un pouvoir, à qui tu as affaire, mais bien à l'Etat, la désignation rituelle de son ou sa patronne, et de son pouvoir. Et cette désignation, dont tu sais qu'elle est biaisée, a le culot de s'appuyer sur une façade "démocratique", qui s'imposera à toi dès le lendemain.

Des yeux crevés, des mains arrachées, des Rémy Fraisse, il y en a eu et il pourrait y en avoir d'autres sous peu, vu, non les luttes sociales, mais les "oppositions confuses", qui se manifestent depuis plusieurs années. Entre les couleurs de gilets et la nature des drapeaux brandis, le dernier complot en vogue, la lutte des classes a du mal à y reconnaître ses petits, tant la confusion politique s'exprime.
Je ne vois pour l'instant qu'un poujadisme qui grandit, et qui alimente tous les populismes, et principalement à l'extrême droite. L'anticapitalisme en est absent.

Alors, lorsque je lis ici ou là, qu'abonder cette fosse d'aisance, en jouant les apprenti.e.s sorcièr.e.s et en allant faire élire la cheffe de clan du néo fascisme, serait un must, j'avoue, je prends peur. Car le pire, c'est qu'ils le feraient, ces cons là !
Quand, même à gauche, on s'est biberonné en politique à coup de Marseillaise et de tricolore, on finit par se gourrer de cortège. Pour peu qu'il ait été question de piquouse vaccinale en plus, et d'amitiés internationales anti impérialistes "sauf Poutine", c'est carrément de bulletin qu'on pourrait se tromper.
Bon, je sais, les "dirigeants" se sont prononcés, trois fois plutôt qu'une. Mais le "peuple" a été chauffé à l'anti. Et pas toujours à l'anti-nationalisme.

Jean-Luc, tu aurais du me téléphoner, je t'aurais suggéré une formule : "voter pour choisir son futur adversaire, et le désigner ainsi". Sachant qu'en principe on combattait l'autre depuis longtemps, la consigne eut été claire. Quoi que... Certains "débats" avec le Z n'ont guère servi pour cela.

Il va donc falloir une nouvelle fois se salir les mains autant à la place des puristes, que du fait de la gauche, et, cerise sur le gâteau, du bilan du sortant.

Un bulletin pour Macron comme pour un Chirac en 2002.

A une différence près, c'est que l'électorat du borgne a fait des petits depuis, et que sa fille jouit d'un soutien "dédiabolisé". Nos intellectuel.le.s de plateaux TV et nos philosophes patineurs à glace s'en sont chargé. Méconnaître cette glissade à l'extrême droite et oublier qu'il y a dans ce pays plusieurs millions de personnes qui subissent un racisme quotidien de ce fait, serait suivre un penchant suprémaciste qui n'a rien de naturel, hérité de notre histoire écrite, comme non commune et coloniale. Et je ne parlerai pas de ces républicains du printemps qui en rajoutent, à gauche à droite.

Alors, si la planète brûle, enflammer en plus ce pays à l'extrême droite ne serait pas du plus intelligent.

Non, les laisser se "débrouiller entre eux" ne suffira pas non plus. Et même si cela était, laisser à l'extrême droite une occasion d'un score électoral serré, ce serait donner des arguments à un gouvernement Macron pour faire quelques emprunts à son programme. Là aussi, le piège à cons fonctionne.

Je l'avoue, tout cela n'a rien de spontané ni de joyeux pour moi. Mon "vote" de 1er tour ne le fut pas davantage d'ailleurs. Comme beaucoup, j'ai joué et perdu. Alors, je retente ma chance, pour faire barrage à l'extrême droite, en pensant simplement à celles et ceux qui la subiraient en premier.

C'est con comme piège, ces présidentielles. Je me retrouve encore à devoir aller voter, mes chats me le pardonneront.

Partagez