Ukraine • Un dimanche chez les Dourakine

Dourakine

Un dimanche de Pâques dans la famille Dourakine commence par une traditionnelle chasse aux oeufs dans le petit jardin des grands parents, et se poursuit par la dégustation de l'agneau pascal. "Bio et local" précisera l'épouse du Général. On n'en saura pas plus.

C'est au moment de faire tourner le plateau de fromages que Madame Dourakine ajouta, à l'intention de son grand fils : "Tu as vu, ton père passe à la télévision maintenant !".

"Finalement, tu as bien fait de ne pas signer l'appel l'année dernière" rétorquera le fils. Et le général Dourakine se saisit d'une part de Sainte Maure tandis qu'on débouchait un vin de Cheverny, "bio et local".

C'est ainsi qu'entre la poire et le fromage, on parla de la guerre en Ukraine, un dimanche de résurrection, dans la famille Dourakine. Le grand-père menait enfin sa guerre, virtuellement comme il se doit au XXIe siècle, tout en se constituant un complément de retraite.

"Je parle sous la responsabilité du général". Voici ce que l'on entend désormais chaque jour sur les plateaux de chaînes d'information en continu. Chaque chaîne a son militaire retraité. Et il arrive même qu'ils montent en grade, passant d'un coup de colonel à général, dans la bouche d'un ou d'une "collègue" de plateau. "rires convenus".

Et il est parfois assez croquignolesque d'entendre un gradé administratif qui a passé toute sa carrière à servir de porteur de serviette à un président, à la retraite lui aussi, commenter des actions de combat en Ukraine, cartes à l'appui, Ukraine dont il ne connaissait sans doute pas le nom exact de la capitale il y a encore trois mois.

Car il y a aussi toute cette mise en scène, utilisation du tableau interactif oblige, qui est déployée, pour renforcer l'illusion. On voit bien que ces tableaux interactifs parfois se rebiffent et s'obstinent à ouvrir des fenêtres incongrues, mais, dans l'ensemble, tout est parfait pour se la jouer "pentagone dans l’hexagone".

Souvenez-vous, celles et ceux qui ont vécu virtuellement "LA guerre du Golfe". A cette époque, le vert dominait les écrans, ponctué de ce qu'il fallait bien reconnaître comme des explosions. Les correspondant.es commentaient d'un balcon généralement, et le côté guerre de martiens cachait la réalité d'une boucherie américaine à l'oeuvre. Le petit Bush buvait des bières. On connaît la suite.

Revenons à nos Dourakines.

Ils sont quelquefois accompagnés de comparses, pompeusement nommés journalistes, parce que collaborateurs de revues de "défense". Certains viennent là, non pour un complément de salaire, mais pour distiller ce qu'autrefois vomissait Russia Today. Ils causent en bande sur Sud Radio, Cnews, Europe1, Valeurs Actuelles ou Causeur, mais se glissent aussi sur le service public, et s'incrustent sur d'autres chaînes encore. En cherchant un peu, on retrouvera leur nom sur l'appel des factieux de 2021. Dans la famille Poutine, je demande l'ex-Zélateur.

Les chaînes d'information continue répondront sans doute en parlant de "pluralisme" obligé.

Mais, quand à une heure de grande écoute, un merdeux pas frais, avec un prénom à consonance front de mer côté La Trinité, fâché de ne plus pérorer sur Russia Today vous dit carrément en plein écran, à propos des massacres de Bucha "méfions nous des images fabriquées par la propagande ukrainienne", encore trois jours après, on a la sensation qu'une télé russe s'est installée dans l'écran plat au nom du "pluralisme".

Et nos Dourakines d'opiner du bonnet avant de dire le contraire le lendemain. C'est un confrère après tout.

A quoi servent donc ces militaires sans uniforme sur ces plateaux TV ? Leur retraite aurait-elle donc tant besoin d'être revalorisée ?

Enlevez ces généraux et vous verrez qu'il n'y a nul besoin de "valider" les reportages ou les directs que de vrais journalistes ou des témoins sur place procurent en permanence, et pas à partir de balcons d'hôtel. Les réseaux sociaux ne sont pas en reste. Le seul problème, c'est que dans une guerre de propagande, lorsque le politique s'absente et est remplacé par l'uniforme, le travail journalistique est noyé dans les larmes.

L'habitude est prise là pour "l'information" d'avoir des filtres que l'on rend visibles, comme pour dire "voyez que ce n'est pas de la propagande". Chaque chaîne possède son ou sa "spécialiste" identifié.e, qui se décline en "police", "justice", "politique" et j'en passe. Et, en plus des "consultant.es", ces chaînes invite des personnalités dites "de terrain", qui deviennent vite des "figures médiatiques". On a pu observer cela durant la "crise Covid", et nombre de "médecins" sont devenus des clowns de plateau, permettant à une kyrielle de charlatans d'en faire de même, en compétition, sur les réseaux sociaux.

Et comme si on n'avait pas été assez vacciné, le procédé est renouvelé avec la guerre qui se déroule en Ukraine, à la seule différence près, c'est que les militaires dits "en active" ont un strict devoir de réserve, ce dont se sont débarrassés les Dourakines.

Cela dit, tout ce barnum interroge. Où est passée la parole politique ?

Même si elle se devine au travers de la présence également sur les mêmes plateaux de "reporters de guerre" qui ne sont pas né.es de la dernière pluie, elle reste figée sur un consensus de fait très moral "la condamnation de l'invasion" et "l'aide à l'Ukraine avec ses lignes rouges".

Oui mon général, j'écris sous votre responsabilité.

Une guerre en Europe, ses conséquences en chaîne, la division internationale autour des questions d'approvisionnement alimentaire, les spéculations capitalistes sur les matières premières, la menace directe d'utilisation d'armes nucléaires, tout cela semble ici en France, aussi lointain et virtuel qu'un Dourakine de pacotille qui semble dire "on s'en occupe". Tout autant qu'on répète que la "politique extérieure" est du "domaine réservé du Président", on nous invite à faire provision de mouchoirs et à s'intéresser à "l'intérieur", toutes tendances confondues. Faites confiance à Dourakine !

Alors devons-nous nous contenter de la propagande officielle qui clame que la situation est sous contrôle, qu'il s'agit d'une guerre entre la Russie et l'Ukraine, que l'agresseur est Poutine, et que l'aide militaire massive à l'Ukraine gèlera les choses, jusqu'à négociations à la fin... Une guerre comme les autres quoi !

A nous d'en gérer émotionnellement les images qui sortent du cadre, les réfugié.es, les tueries. C'est la guerre.

Le gaz ? On y pense. Restons unis. "Mon général, qu'en pensez-vous"?

En fait, c'est un caporal qui a répondu et qui a dit : "Une grenade, ça dépend si elle est offensive ou défensive" et il a ajouté "ça peut prendre un certain temps avant de nous péter à la gueule".

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