Arrière petit fils de paysans, petit fils de paysan, j'ai encore mangé de la purée de pommes de terre il y a peu et je me sens donc autorisé à parler du monde agricole. Je rejoins en cela les merdias en info continue et les partisans de la reconquête qui ont flairé l'odeur du lisier répandu.
Moi aussi, je m'en va causer des normes.
Mais à peine ai-je voulu commencer que me voilà confronté à un "en même temps" contradictoire :
NORME
nom féminin
1.Didactique
Type concret ou formule abstraite de ce qui doit être.
Norme juridique.
Synonymes : loi, modèle, principe, règle
2.
État habituel, conforme à la majorité des cas.
Synonymes : normal
La norme est donc à la fois ce qui doit être et ce qui est.
Comme nos bien pensants qui ont récemment voté une loi raciste anti migrants, je désire parler français et mieux, en défendre l'utilisation. C'est d'ailleurs ce qu'apprennent tous les "étrangers" soucieux de parler "notre" langue, et qui finissent par l'utiliser mieux que nos député.es rassemblé.es.
Donc, un média proche d'une source ministérielle a dit "normes", et tous ont répété "normes", et sur les barrages la "formule abstraite de ce qui doit être" a fait florès.
"Vous êtes contre les normes ?" "Pas tout à fait, je suis contre les règles européennes"
Et voilà déjà une divergence, et une convergence pour fachosphère militante.
A ce stade, faisons un détour par l'état habituel de la petite politique.
Rappelons qu'une compétition électorale se précise en Europe, et qu'ici-bas on a déjà dressé le ring et choisi les boxeurs. Ce sera Macronie contre Rassemblement National. Rappelons aussi que dans le "champ" politique agricole, des élections aux Chambres d'Agriculture se profilent et que, là aussi, entre FNSEA et Coordination Agricole, on retrouve un peu les mêmes.
Cela n'explique pas le fond de la mobilisation, l'état réel des choses dans le vécu quotidien des "agriculteurs", mais ouvre les yeux plutôt sur l'état de fumier d'une partie des représentant.es de la colère.
La colère est réelle, légitime, mais les acteurs qui en causent, par médias interposés, prennent leurs consignes et éléments de langage bien au delà du "terrain".
Pour revenir au terre à terre, disons que 'Le choux c'est Bruxelles, et les normes aussi", pour ces sans normes du pas de l'oie. Des fachos libéraux quoi !
On n'est donc plus "cheux nous". Nous voilà "grands remplacés" par les importations, et on ne peut même plus payer les saisonniers migrants au lance-pierres, sans devoir respecter une normalité salariale.
Pour rester terre à terre, disons aussi que nous sommes en pleine saison des clémentines marocaines pas chers et des OQTF pour migrants marocains saisonniers, en même temps. Quoi que, on en a pourtant besoin pour la taille des vignes, dans le Sud Est, fief de nos reconquêtes en herbe à glyphosate, mâtinés de gilets jaunes recyclés. La campagne bat son plein comme on dit, et les Bardella battent la campagne, en bottes, verre de rouge en main.
Voilà comment on peut être en même temps climatosceptiques, et demander à être exigeants sur les remboursements d'assurance en cas de sécheresse.
Le changement climatique, "invention de Bruxelles", ne serait en fait qu'un dérèglement naturel contre lequel on doit pouvoir s'assurer, en cas de pépin. Et je ne vous parle pas des taxes... Tout un programme, à lire sur le tracteur.
Quand j'étais môme, j'entendais autour de moi, en Beauce, la formule "Avec toutes i'eux bombes, z'avaint détraqué l'temps", dès lors où un Noël se passait au balcon ou que les Saintes Glaces débordaient sur la période des floraisons. Et bien, aujourd'hui "Avec toutes i'eux normes, z'avaint bouffé nos revenus".
Devant mon écran, j'entends une nième fois une spéchialisse en monde agricole d'un grand quotidien régional parisien, le Figarou, pour ne pas le nommer, gloser sur les "normes", en citant une nouvelle fois l'exemple des haies. "On demande aux agriculteurs d'en planter", nous dit-elle, et "on leur impose, en plus, des "normes" pour les tailler".
Les dites normes, répondant ainsi à une nécessaire protection de la biodiversité, rappellent simplement qu'une saisonnalité dans la taille existe, et que tailler avant floraisons ou en période de nidification serait contreproductif. Mais voilà, la dame est spécialiste, et ignore même ce que le paysan sait depuis longtemps, à part la variété des "faut qu'c'est prop" assez répandue, et pour laquelle la "règle" est rappelée. La figarote devrait se demander pourquoi son plant de tomate de balcon n'a rien donné en décembre, alors qu'elle l'avait pourtant taillé en octobre. Le climat du XVIe ? Et pourtant y en a chez Fauchon. Passons.
Ainsi évite-t-on d'aborder une évidence qui devrait être la norme, celle des prix de revient à la production et des prix plancher pour sa vente, pour un paysan.
Faut surtout pas fâcher Lactalis ou le Groupe Avril, entre autres, dont le patron de la FNSEA est président. Manquerait plus qu'on se mette à parler, toujours en terre à terre, de l'agro industrie, des distributeurs et des coopératives d'achat. Le terrain, on vous dit, le terrain, pas la finance.
Un petit interlude auprès d'une veuve agricole qui dénonce les normes des écologistes qui ont poussé son mari au suicide, et je reviens vite à mes moutons.
Bon, je ne suis pas un spécialiste, je n'ai pas assez de terrain pour ça, juste un coin de jardin bio où je m'essaie à la culture de tomates anciennes, la saison venue. Cela ne compte pas. Mais, comme tout le monde, j'en ai un, d'avis. Et pas qu'un "vu à la télé".
La jacquerie s'étend, les tracteurs tractorisent et les ministres de terrain discutent avec la FNSEA sur les propositions de discussions sur les mesures éventuelles à prendre, bien dissimulés derrière le paravent des normes qu'ils ont déployé. Pour la taxe à repousser, cela semble acquis. Le fameux GNR est trop cher, encore la faute des écolos et de l'écologie punitive, on vous l'avait bien dit. Et tans pis si c'est avec la même FNSEA qu'on avait décidé de l'augmentation progressive. On attendra qu'Avril annonce le printemps.
Pour les normes, on va trouver un truc pour annoncer un "choc de simplification" qui réarme l'agriculture, sans que cela fasse trop "l'écologie ça commence à bien faire", même si le Sarkosysme est à la mode en ce moment dans la culture. Un report du changement climatique ? Tiens, une accélération des procédures pour les bassines, ça pourrait le faire, en même temps que de nouvelles autorisations de chasse aux "nuisibles"... et l'abattage du loup tiens... Je sais pas moi, je remonte du "terrain". Bref, vous l'aurez compris, on évitera les sujets qui fâchent l'agro industrie et les coopératives d'achat comme la grande distribution. Le Carrefour sera content et les ronds points dégagés.
Et n'oublions pas de remettre en avant la fameuse loi egalim, dont on va engager une saison 4, quand on y verra clair dans l'apaisement. Espérons que les syndicats la bricole tiendront le coup et que les allumeurs de préfectures s'arrêteront aux portes de Paris. C'est quand même pas les producteurs de patates de Beauce et de vin du Gard qui vont faire la norme ! Faut faire confiance aux intermédiaires, nom de nom.
Et pourtant, s'il y avait une transformation radicale à envisager, ce serait bien celle du système agro industriel et de l'agriculture intensive et, en attendant, d'éviter que ne meurent des paysans fauchés tandis que d'autres ne profitent sur et de leur misère, tout en les "représentant", dans les syndicats ou filières...
Qu'il soit bien entendu que la "Conf" n'est bien sûr pas concernée par ce terre à terre.
L'ange Gabriel doit demain déployer ses ailes et "répondre à la colère".