Lundi 12 février 2024, avec un café, devant le journal télévisé d'Antenne 2, au hasard d'une pause sur canapé.
L'actualité morose du jour laissant une dent creuse, la rédaction a du décider de combler le vide avec du vide, et donc de diffuser un "sujet" court de "société" qui patientait depuis quelques jours, pour cause de remaniement.
Une sorte d'influenceuse, tiktokeuse style cougar de télé achat, le présente.
Il s'agit d'un "test" d'une "application" qui "va vous faire aller au devant de la différence, et vous socialiser dans votre quartier". Déjà, la ruralité peut continuer sa vaisselle, elle n'est pas concernée.
Vous allez pouvoir, grâce à cette application (lire toujours sur le mode des annonces télé achat) "signaler vous mêmes les SDF de votre quartier, aller à leur rencontre, organiser vous mêmes des maraudes en commun, et même des karaokés". Le lancement est donné lorsque la dame annonce "on a testé".
Non, vous ne rêvez pas, ce n'est pas une parodie, mais bien la promotion d'un mode de charité via smartphone qui, toujours selon la dame "vous fera connaître mieux votre quartier", et, sans doute, les trésors de pauvreté qu'il recèle.
Vous êtes dans l'ennui quotidien, vous manquez de relationnel, vos afters se ressemblent, vous vous sentez déclassé dans l'univers urbain du XVIe, chargez l'application sur votre dernier iPhone et, désormais, vous vivrez des "moments d'émotion inoubliables" (sic).
Puis, le sujet entre dans sa phase expérimentale, et l'on rejoint alors un petit groupe de personnes bien propres sur elles, en compagnie de la dame de TikTok, emmitouflée pour l'occasion. On a encore droit à un commentaire en voix off qui nous rassure "même si vous venez les mains vides, vous serez bien accueillis". Une référence à la chaleur humaine, valeur sûre, qu'apportera votre personne. Vous en sortirez donc "grandi.e" et "fièr.e" de votre smartphone.
Un SDF "étranger mais parlant français" a été choisi pour le tournage, sur un coin de trottoir, au milieu de sacs plastiques et cartons. La production n'a pas lésiné. Le petit groupe de jeunots en pleine expérimentation sociale a donc pris place autour de lui, comme des scouts autour du feu de camp.
"Il nous raconte ses histoires. On l'écoute. C'est enrichissant".
Fin de la séquence émotion et mouvement de caméra qui suit le petit groupe, la maraude qui s'éloigne, "touchée au coeur", dans le froid parisien réchauffé par le changement climatique. Le jeu sur I Phone valait le coup, il alimentera les conversations des prochaines soirées entre ami.es. Le chien du SDF sentait un peu, mais ça fait partie du jeu.
Mais alors, et le karaoké ? Je vois que vous suivez.
Et bien, nous y voilà.
Là, il ne s'agit plus de SDF, mais de personnes "en grande précarité"ou "d'origine étrangère", deux nouvelles catégories sociales, que vous allez pouvoir côtoyer pour un soir, pour toucher du doigt la "différence", celle que vous ne voyez pas d'habitude dans vos moments conviviaux à vous.
Bon, pas d'Amélie ni d'Oudéa à ce karaoké, "qui a l'air sympa", nous dit encore la dame filmée alors qu'elle en franchit le seuil. Il y a là en effet une brochette de "différences", réunies pour un soir, qui chantent de vieux succès des années 80 devant un écran. Je ne saurais dire si la "production" avait demandé de s'habiller normalement ou pas aux messieurs et dames patronnesses venues charitablement mêler leurs voix à de plus nécessiteux qu'eux, mais toujours est-il que contrairement aux karaokés de soirées camping, on constate la diversité des tenues et leurs vraies "différences". My taylor is rich.
Sur le plateau de la 2, l'animateur ne peut s'empêcher de faire remarquer que les SDF ne possèdent sans doute pas toutes et tous de smartphones.
"Détrompez vous", répond dame TikTok, "ils en ont besoin pour appeler le 115".
Amélie, si tu nous regardes, le téléchargement est gratuit, et c'est enrichissant.