Dans les années 1990 se déroulaient devant les yeux du monde entier trois "guerres" contre des Peuples, en Ex-Yougoslavie, au Rwanda, et en Turquie. Les trois avaient en commun une volonté d'épuration ethnique.
Nous n'avions pas dans ces années là un réseau Internet à ce point développé qu'un.e quelconque citoyen.ne du monde puisse instantanément transmettre les images de ce qui s'y déroulait. Et pourtant, tant pour l' Ex-Yougoslavie que pour le Rwanda, le journalisme des années 1990 opéra un travail d'information digne de ce nom, même si pour la Turquie et les Kurdes, il en fut autrement, déjà.
Sur ces trois massacres en direct, un seul entra dans l'Histoire, après saisine d'un Tribunal, sous le nom reconnu de génocide, celui commis au Rwanda, contre les Tutsis. Pour l'Ex-Yougoslavie, le Tribunal pénal créé pour ce faire fit de l'un des derniers massacres de masse, celui de Srebrenica, un massacre "génocidaire", sans pour autant élargir le terme juridique à l'ensemble de la guerre. Pour la Turquie, considérée zone tampon stratégique par l'Occident européen, on parla et on parle toujours de "conflit" et de "problème kurde".
Je vous renvoie aux nombreuses publications sur ces sujets où le nombre de victimes civiles figure, y compris sur Kedistan.
Notre situation de "voyeur" n'est donc pas exceptionnelle, sauf pour les nouvelles générations, concernant ce que la Cour de Justice Internationale juge aujourd'hui comme "un risque réel et imminent de génocide", dont "il faut se prémunir", après la saisine par l'Afrique du Sud. Cette Cour a donc jugé que tous les éléments étaient réunis pour que le terme juridique soit prononcé et écrit, alors même qu'il est pourtant impossible d'avoir des enquêtes internationales indépendantes pour en réunir les preuves, du fait tant de l'obstruction de l'Etat d'Israël et de ses bras armés que du danger de mort permanent à Gaza, avec la présence des combattants du Hamas comprise. Le blocus israélien est tel également que le journalisme est empêché au mieux, exécuté souvent, laissant le champ libre à la propagande officielle et ses mensonges répétés. On pourrait parler de "radio mille tunnels".
L'Etat français, impliqué dans le génocide contre les Tutsis, reconnait en creux ce génocide, puisque le débat continue sur ses "responsabilités". Il soutient également toujours à propos des Kurdes, l'idée que la Turquie a "le droit de défendre sa sécurité" et, pour l'Ex-Yougoslavie cultive l'oubli.
Pour Gaza et la Palestine, les mots sortis de la bouche du Ministre des Affaires Etrangères interdisent qu'on utilise le mot "génocide" pour Israël.
Ce qui se déroule à Gaza devient donc officiellement innommable.
On peut lire dans la presse française le récit détaillé de snipers franco-israéliens à Gaza, en tournée, à propos de "leur guerre", tout comme on peut voir et entendre les officiels de Tsahal devenir des "commentateurs réguliers" sur les chaînes d'info françaises, relayant ainsi la voix des "mille tunnels". Il est même des députés français qui se réclament davantage de l'extrême droite israélienne que du parlement ici et qui dictent leurs polémiques à propos de la Palestine. S'y ajoutent les représentants "officiels" en partie auto-proclamés de la dite "communauté juive" en France, alignés sur la politique actuelle du gouvernement sioniste d'Israël. Les relais islamophobes habituels ne sont pas en reste dans ce qui devient bien souvent une bouillie médiatique, dès lors où on aborde la "question palestinienne". Au point que même les mieux informés des "journalistes", des "acteurs/trices commentateurs/trices" ou des "spécialistes" n'osent plus laisser venir à leurs lèvres le mot "génocide", et en viennent à jeter le soupçon sur le dernier jugement de la Cour de Justice.
Ce jugement est pourtant contraignant pour les Etats, leur enjoignant de fait d'empêcher que le mot deviennent la réalité, ce que nous savons qu'il est déjà.
Derrière le "en même temps" de la demande de "cesser le feu" et du "droit d'Israël de se défendre", avec l'alibi ostentatoire de "l'aide humanitaire", qui dans le réel est infime à côté des contrats d'armement qui continuent à être honorés, le gouvernement français cache un soutien opportuniste au gouvernement israélien. En décrire les raisons serait écrire un nouvel article.
Alors que l'Afrique du Sud relance la Cour de Justice à propos de "complicité de génocide" concernant le Royaume Unis et les USA, on attend toujours une déclaration ou un acte du gouvernement français pour se distinguer de ces deux là. Et ce n'est pas ce qui désormais devient un paravent facile "la nécessite de la solution à deux Etats" qui peut non plus faire la différence.
Le Peuple palestinien vit un génocide à Gaza comme la colonisation en Cisjordanie tourne à l'épuration ethnique, antichambre de ce dernier. Et on exige de nous de se taire, sous peine d'être accusés d'antisémitisme.
L'accusation d'anti-français sous Vichy concernait aussi celles et ceux qui protégeaient les familles juives. Celles et ceux qui aujourd'hui voudraient protéger les populations d'Israël de ses démons sionistes qui les mènent aux massacres ethniques et à la guerre, se retrouvent jetés en pâture avec l'accusation d'antisémitisme, proférée par une alliance des pétainistes d'hier et des pro-sionistes actuels.
Quelle ironie de constater qu'on peut "en même temps" honorer la mémoire d'un homme disparu comme Robert Badinter, et pratiquer une alliance politique anti-musulmane avec les sionistes et l'extrême droite, dans les médias et les sphères gouvernementales.
Pour revenir au concret et se hisser hors de la boue franco française, et malgré les tentatives de museler et tuer l'information, malgré les tonnes de propagande, y compris sur le 7 octobre, la réalité de la situation à Gaza est connue et visible. Merci à toutes celles et ceux qui le permettent, déjà morts ou encore vivants.
La "guerre" menée par Tsahal n'a plus de perspective stratégique qu'elle même et sa reproduction, sauf à reconnaître qu'elle a des visées génocidaires, ce que nombre de déclarations de ministres d'extrême droite ne cachent même plus.
Hamas ou pas, l'immense détresse des populations de Gaza, l'humiliation permanente, la déshumanisation par celles et ceux qui, en uniforme de "l'armée la plus morale du monde", planqués derrière leurs armes de destruction, tout cela concourt à forger un avenir de haine, pour celles et ceux qui survivront, comme le forgea la Nakba de 1948.
Les chiffres des victimes civiles, par dizaine de milliers, de personnes blessées à vie, d'enfants tués ou rendu orphelins, pour certain.es amputé.es, la destruction volontaire de 70 % des lieux habitables, toutes les infrastructures réduites à néant, méthodiquement, cela est le quotidien de Gaza depuis des mois.
Et le gouvernement israélien veut frapper encore pour chasser plus loin, dans le désert sans doute, le million et demi de Palestinien.nes déjà réfugié.es sur leur territoire.
L'humanitaire est devenu enjeu et prétexte, et tout est fait pour en faire une arme de guerre. Le gouvernement israélien et encore une majorité en Israël a de fait la population de Gaza en otage, comme le Hamas de son côté en détient.
Et se pose alors une question. Si nous savons que ce génocide prendra fin d'une façon ou d'une autre, avec le temps et les rapports de forces, la fin des opportunismes politiques, les chantages, peu importe, comment accepter que ce ne soit pas par un minimum de Droit international, en conscience de ce qui se déroule sous nos yeux ?
Que va-t-on inventer demain ? Un je ne savais pas ?
Ha, j'oubliais... Le mot innommable a aussi une autre définition : "Trop détestable pour recevoir un qualificatif, un nom".