Le sursis

sursis

Pour moi ce mot a une forte connotation puisque je fais partie de ces générations qui durent exécuter leur service national militaire.
J'avais pourtant à l'époque fait jouer tout ce que je pouvais, études à l'université, enfant... pour éviter cette mobilisation forcée d'un an, et j'avais donc obtenu un sursis, le faisant traîner jusqu'à mes 26 ans.

Tout cela pour terminer incorporé dans un régiment d'Infanterie de Marine, quasi disciplinaire, en qualité de "fiché à l'extrême- gauche". Fort heureusement, c'était la fameuse année des "comités de soldats", qui fleurissaient un peu partout. Bref, c'est pas le sujet.

Ce qui est le sujet, c'est ce qui arrive, après le sursis, même si ça donne l'occasion d'entrer en résistance. Vous voyez maintenant où je veux en venir ?

Ce qui s'est passé en France dimanche dernier peut être qualifié de sursis, et nous sommes tous et toutes, collectivement, en tant que sursitaires, comptables de la suite.

Tout d'abord, soyons fortement conscients que ce Pays n'a pas basculé à gauche, au sens large, du fait d'urnes remplies de papier.

Si le rejet de la fachosphère est largement majoritaire, ce n'est qu'un rejet politicien pour une part, alors que racisme, xénophobie, demande sécuritaire, n'ont jamais autant prospéré.

La Rance penche bien à droite, comme l'indique la pipe de Darmanin.

N'ayant pas eu le loisir d'aller séparer un RN1 d'une RN2 sur ma circonscription, je ne rentrerai pas dans les histoires de désistements, surtout qu'entre le nini et le tout sauf, le milieu s'est maintenu dans les ruines, et la ramène d'autant plus fort.

Le rond de serviette républicain a servi, tant mieux, mais se précipiter à la soupe pourrait bien créer une indigestion profitable à un grand maigre.

Les forces politiques fascisantes se fédèrent en Europe. Pour le moment, des divergences entre nationalistes sur la meilleure façon de gagner des pouvoirs subsistent. Les difficultés du Capital ne sont pas telles encore qu'il serait contraint de choisir définitivement l'illibéralisme. Mais, en ce sens, il faudra observer les élections américaines, pour avoir les idées plus claires.

Bref, la question est de savoir qui des fascistes à faux nez social ou des illibéraux de droite totalitaire va l'emporter au final. Je dirais, comme un spécialiste de plateau de chaîne d'info : "un peu des deux, je peux l'affirmer".

Effectivement, en s'éloignant des nombrils, on mesure la quantité de nuages qui s'accumule, et donc, la gadoue qui s'annonce.

Ce sursis n'est donc qu'une accalmie provisoire.

La Rance n'est rance qu'à un peu plus de la moitié. Et l'autre tiers se défend bien.

Je me suis demandé, ces jours derniers, si je n'avais pas de 1936 une vision qui relève du fantasme des grands soirs d'été, après trois pastis. Est-ce que vraiment, ces images en noir et blanc de foules mobilisées, dans la rue ou les usines, ces fables des vieux films, n'ont pas été montées pour nous laisser croire à une France de l'époque entièrement debout, derrière le Front Populaire ?

Moi qui ait vécu intensément le mai 1968 en France, et qui, finalement, trouve que cela ne fut qu'une succession d'événements sur fond certes de grève générale, j'ai du mal à mesurer ce que fut la mobilisation pour arriver au résultat de ce dimanche.

La peur, la crainte, le dégoût, la volonté exprimée de barrage contre le flot d'immondices, j'ai vu.

Sur les réseaux sociaux, dans quelques rassemblements et manifestations, dans les prises de paroles médiatiques de tous milieux... Mais je n'ai ressenti ni élan ni force collective véritable là dedans. Et presque moins que dans les défilés contre la réforme des retraites.

Il y a un front du refus contre la montée des fascismes, mais de la résignation aussi.

Alors, si cela a amené à un sursis, tant mieux, mais la joie peut très vite retomber et ne peut suffire pour renverser la tendance.

Le vieux Mélenchon (je suis plus vieux que lui) pourra bien s'égosiller, et ses grognards s’époumoner avec des "résistance"plein la voix, cela ne suffira pas et je crains même que cela épuise à la fin.

La conscience du sursis manque à ces conquérant.es du pouvoir. Monter au front sans cela, même avec un programme (moins à gauche que la Mitterrandie de 1981) risque bien d'oublier le gros des troupes derrière.

L'exercice d'un pouvoir institutionnel, s'il ne s'accompagne pas d'une réelle mobilisation populaire, jusqu'ici ténue, risque d'être une suite de renoncements et de dénis, doublée d'un appétit féroce de quelquesun.es pour les dorures du pouvoir et la satisfaction d'égo qu'il procure.

C'est un peu ce que les premiers jours de ce sursis m'inspirent, sans compter les coups bas et traîtrises en coulisses que prépare la royauté arrogante sortante.

Ce qui est absent à ce jour, à cause de la stupeur de dimanche soir, c'est l'élan pour aller plus loin, et surtout les appels forts et clairs pour le faire, nonobstant les "vacances" et les "JO".

On a à la place un ballet médiatique du genre "je veux bien", "j'en suis capable" "je ne dis pas non" "j'ai les dents assez longues pour ça", "j'en reprendrais bien une part"... La suite est longue. De temps à autre on entend même "en même temps il faudra élargir", côté gluglu.

Le Nouveau Front Populaire doit montrer un autre visage que celui-là, au risque de n'être lui aussi que sursitaire. Faire prendre conscience que la gauche large a une force en elle-même, parce qu'elle la montre de façon unie, quelles que soient d'énormes écarts, ne se fera pas devant des micros tendus.

Après la dissolution de l'Assemblée, les partis de gauche ont compris qu'ils disparaîtraient du paysage politique s'ils n'entraient pas en coalition entre eux. A défaut, ils ont répondu à une demande forte exprimée également. Cette double nécessité n'existe plus au sortir des urnes. Seule la seconde demeure.

Et pourtant... On attend. Mais Godot, on s'en fout !

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