Les voiles d’automne

voile

On les appelle aussi fils de la vierge, comme quoi le voile est oecuménique. On parle aussi parfois de fils de "mariée".

On n'en voit plus guère flotter dans l'air à cette saison qui pourtant est la leur. Mais trouve-t-on encore beaucoup dans la campagne de ces hautes tiges, chardons ou grandes graminées, qui abritent ces araignées dont le moyen de déplacement est si caractéristique. Certains "défenseurs de la nature", qui laissent quelques espaces en friches pour mieux pouvoir en tuer ses habitants ensuite, me contrediront sans doute. J'ai nommé les "chasseurs", cette espèce humaine protégée des puissants qui tue pour le plaisir.

Mais de quoi s'agit-il ?

Tout simplement d'un fil de dispersion qu'utilisent certaines espèces d'araignée pour se déplacer, et dont la "tradition" orale voudrait qu'il soit issu de la quenouille de la "Vierge Marie".

Bon, je ne vais pas davantage gloser sur un titre de saison et vais de ce pas vous dévoiler mes intentions.

Et je ne vais guère faire dans l'original, en écrivant à mon tour sur le voile, alors que j'aurais préféré pourfendre une fois de plus la Marine.

Précisons quand même que depuis mes douze ans, ce qui en fait soixante, je me suis efforcé de croire en l'humain et non dans ses constructions religieuses et bigotes, qu'il affectionne pour se rassurer. Pour quelqu'un dont la fin d'enfance, l'adolescence, furent bercées par les révélations de la torture en Algérie et l'exhumation tardive et à grande échelle de la Shoah, avouez que se mettre à croire en l'humain, et à la liberté par dessus le marché (ou en dépit de lui), n'était pas évident. Je dois en remercier mon copain Albert, qui m'accompagna bien à cette époque dans la démarche, au travers de ses livres. Je ne donnerai pas son nom, de peur que la confusion s'installe, brunisse et remplace ma pensée, mais vous aurez reconnu l'étranger qu'il était.

Oui, "Ni dieu"... vous connaissez la suite.

Un ami de rencontre, à Conakry, en Guinée, m'a dit un jour "tu dois être malheureux". Il se souciait là justement de mon "âme".

Mais il qualifiait aussi de "cafards" les quelques rares femmes en noir, dont la tenue tranchait avec les boubous colorés. J'avais honte de ne même pas parler une de ses langues, alors qu'il s'exprimait dans un français qui en ferait rougir plus d'un.es. Ce n'est pas pour autant qu'il était le produit du colonialisme ou du néo-colonialisme, qu'il fustigeait aussi, lui adjoignant l'étiquette de racisme, ce qu'il constatait chaque jour, au contact d'expatrié.es qui faisaient là des "affaires"ou, pire, "enseignaient". Il avait seulement profité de l'ascenseur Sekou Touré, dont il critiquait pourtant la dictature.

Un africain qui, déjà à la fin du siècle dernier, exprimait un désir d'identité panafricaine et malinké à la fois, culturelle, politique, mais aussi... religieuse. Etre musulman pour lui, c'était montrer une rupture avec l'hypocrisie de l'ex-colonisateur, qui pillait au nom d'un universalisme cachant mal ses "racines chrétiennes", et croisées.

C'est aussi au travers de ce prisme religieux qu'il condamnait la traite négrière vers "l'Arabie", qu'il qualifiait de génocide islamique, à l'égal du commerce triangulaire. Allez causer "occidental" après ça, et je vous souhaite du courage. C'aurait été comme parler de "croisière en Méditerranée", avec dix ans d'avance.

Nos conversations "sous le manguier" étaient donc instructives.

Sa compagne revêtait une écharpe nouée autour de sa tête, le vendredi, mais se rendait chaque jour seins-nus au marché, pagne sur les hanches. La domination patriarcale passait visiblement par d'autres voies, dont celle de la répartition des tâches. Je tentais alors de naviguer entre elles, avec peu de succès, je l'avoue. Le blanc avait encore des progrès à faire. C'était le Kankan de la fin des années 1990, qui a tant changé depuis, aux dires des Guinéens qui en viennent.

J'y viens. Je sais... Le voile. Je ne perds pas le fil.

Accordez-moi encore un détour par le "voile de la mariée".

Il est répandu dans le monde entier, celui-là, et concerne la femme, et sa dévotion à l'homme, dès l'antiquité, qu'on soit à Rome, Bénarès ou Bagdad. Et qu'on ne me parle pas de "tulles", car il est dit dans tous les textes anciens que ce "voile" se devait d'être "épais et opaque" et recouvrait la mariée, visage seul ou corps entier. Après, les textes divergent. Signe de soumission à un dieu, une déesse, mimétisme à propos des prêtresses, référence à des prostituées antiques célèbres, chaque "civilisation" offrait ses pistes. Toutes affermissaient leurs pouvoirs patriarcaux.

Dans tous les cas, ce qui est universel là, c'est l'emballage de la femme avec un voile-cadeau, et le symbole de soumission à l'homme, aux pères, ou aux dieux.

2500 ans d'Histoire, et de celle du patriarcat. On n'est plus à un automne près.

Ce combat des femmes contre le port obligé du voile est donc un combat féministe, contre l'oppression et la demande de soumission. Il se veut libérateur et met en cause de fait les pouvoirs de toutes sortes, d'états, de "traditions" ou de religions et veut faire entrer les femmes dans l'Histoire, alors que la "tradition" voulait qu'elles en soient exclues.

Alors, quand on a écrit ça, peut-on applaudir à Caroline Fourest, Kamel Daoud, à toutes les républiques printanières, aux causeurs et causeuses ou aux laïcard.es xénophobes, parfois "nègres de maison", au sens où l'entendait Malcom X, en opposition au "Nègre des champs" ?

Justement non.

Ces voiles d'automne qu'on ramasse à la pelle me rappellent un "orientalisme" qui représentait sur ses tableaux de l'époque coloniale la femme, avec un voile et un corps "désirable", en même temps que l'image de la femme africaine était elle, nue et offerte. Raffinement érotique contre bonne sauvage prise crûment, esclave du harem contre esclave des champs. Je livre là la version IIIe république, dont on nous vante tant les vertus laïques. Cette république là qui, en colonisant et possédant les terres, possédait les corps. C'est elle qui parle encore par la plume des essayistes dont on ne sait toujours pas ce qu'iels essaient et des polémistes, nègres de politiques en vue.

Cette même république qui a interdit le droit de votes des femmes, jusqu'en 1944/45, sous le prétexte que leurs maris catholiques où le curé leur imposaient leurs votes. Les femmes portaient foulards, à ce moment là.

Car si iels veulent "libérer", ces essayeurs, c'est pour interdire, rejeter aux marges, assimiler, et de fait se rassurer contre un grand remplacement, une perte de "valeurs" plutôt occidentales et déclinées au masculin chrétien.

C'est moi qui l'écrit et ce n'est, paraît-il, pas leur discours. Je déformerais "leur pensée". Iels sont "universalistes". Soit.

On me dit ainsi que le blanc est somme de toutes les couleurs, et non le noir, qui en est l'absence. Question de "lumières". Ainsi l'universel n'aurait à reconnaître les emprunts à toutes les autres cultures que lorsqu'il y est acculé, et encore. Et cela ne fonctionnerait plus depuis la mondialisation, fin de l'histoire, où il n'y aurait plus que des "différences", des "diversités", face à la norme universelle qui se doit d'assimiler. Bref, il faut interdire le voile, parce qu'il est archaïque, et nous viendrait de contrées considérées comme telles. Leurs dieux ne sont pas les nôtres, leurs maîtres non plus, encore moins leurs tribuns, et même, qu'elles ne lèveraient pas leurs verres comme les autres.

Comment peut-on être Persan ?

Qu'en Iran les femmes se dressent contre les tyrans et les Mollahs, et le pouvoir crie au complot occidental, alors que dans le même temps, ici, on dénonce une 5e colonne islamique, en symétrie parfaite.

Quid des évangélistes ? Un seul laïc vous manque, et tout est déglingué.

Mais que ciblent les femmes iraniennes ? La religion de leurs parents ? Non, un pouvoir qui énonce des interdits religieux pour les soumettre et, qui plus est, en total écho au patriarcat de toujours. Un pouvoir théocratique qui fit de la tenue des femmes son marqueur politique dès l'instauration de sa "république islamique". Ce n'est pas une croyance religieuse, mais l'idéologie politique islamique incarnée dans une tenue obligatoire, qui est contesté. Et cette contestation dure depuis des décennies. Un pouvoir qui tue pour se survivre, un pouvoir corrompu, oppresseur et ultra violent, devenu minoritaire. C'est aussi en cela qu'elles sont rejointes par les jeunes hommes, les minorités et les familles, en soutien. La contre symbolique des cheveux et des ciseaux a cristallisé les oppositions.

Cette mobilisation, au vu du rapport des forces entre violence d'Etat et manifestations, marquera malgré elle une pause, et devra compter ses victimes et ses emprisonné.es. Est-ce pour cela que le mouvement de solidarité doit cesser et la polémique "voile" reprendre le dessus ?

Et la honte me viendrait aux joues si je me laissais aller à établir un parallèle sur le voile, avant toute solidarité ou à sa place, même si cela me démangeait. Ouvrir ainsi la voie à nos Mollahs pseudo laïcs capables de lancer des fatwas sur le nombril des jeunes filles ou du port de la cravate ici, voilant à peine leur xénophobie, a eu des conséquences sur l'ampleur du soutien.

La résultante de ces polémiques est la perte de nombreux jours  pour enclencher la solidarité et surtout, une fin de non recevoir en France, au sein de celle-ci, pour les musulman.es, non iranien.nes ou kurdes, montré.es du doigt. Il suffit de regarder une seule photographie des manifestations de soutien en Syrie Nord, pour comprendre combien de voiles s'y massaient, sans que personne n'y trouve là un paradoxe. Une certaine gauche, bien embarrassée par cette offensive laïcarde, et empêtrée dans des "polémiques me too" domestiques, n'a réagit que bien tard. Et pourtant, énoncer cette phrase si simple "Ni obligations ni interdits, liberté pour les femmes, soutien aux femmes iraniennes" demandait-il réunionnite et tergiversations, pour finir par se rassembler contradictoirement avec des monarchistes iraniens ?

J'aurais pu, plutôt que ces longues digressions seulement énoncer un mot : intersectionnalité. On m'aurait alors répondu "islamo gauchisme", et l'on aurait pataugé, comme dans un article du Figaro ou de Marianne, dans ce qui est wokisme et ce qui ne l'est pas.

J'espère vous avoir fait voyager en dehors de ces marigots.

Pour l'intersectionnalité, une autre fois peut être ? A chaque toile suffit son fil.

 

Partagez