Ils viennent manger le gâteau du français

En ce jour d'anniversaire, le mien, la France me fait un cadeau bien pourri, celui, bien rassis, du "ça vient manger notre pain".

Ma génération, qui avait déjà l'âge de compréhension, quand on torturait en Algérie, qui entendait les paroles de déportés se libérer enfin peu à peu, sans pouvoir en appréhender pour autant toute l'horreur, est celle qui est née et a grandi moins de dix ans après l'expression majoritaire du nazisme et de la collaboration avec lui.
Je suis de celles et ceux qui, adolescents, se sont nourris des livres d'Albert Camus. Et, pour cet anniversaire, on me fait bouffer, toute la journée, des citations bien pourries du fascisme dont mon enfance cherchait à se débarrasser définitivement.
Ce fascisme, qui a mangé la vie de mon père, avalé ensuite par l'usine capitaliste. Qui lui a fait dire que les plus belles années de sa vie furent celles de la résistance, faute d'avoir pu faire autre chose de ses vingt ans, qui l'avait fait sourire quand, à 18 ans, je lui parlais moi, de "révolution", à propos d'événements où démêler la part du libéralisme d'avec celle, bien révolutionnaire celle-là, du refus sociétal et social anticapitaliste d'une jeunesse en colère, était compliqué.

Cette idéologie fasciste là, on me l'annonce comme mangeant mon gâteau, à hauteur de plus d'un tiers, et soufflant les bougies qui éclairaient encore mes illusions.

J'ai beau me dire qu'il s'agit d'une farce électorale, comme toutes celles qui reviennent à date anniversaire, la crème ne passe pas.
Qu'un facho chétif à tête de gnome, quasi caricature, dicte les noms du calendrier et les éditos de pisses copies en quête de l'écritoire de leur voisin, que des "personnalités" dont la spécificité étaient d'être incolores et ignorantes de toute misère sociale, se mettent à éditorialiser à leur tour dans l'air ambiant déjà irrespirable, pendant que le fric s'étale sans ruisseler, comme une vague omicron, en haut de la pyramide, tout cela me rend vieux d'un coup.

C'est donc ça, le poids de l'histoire ?

On me dira qu'il ne sert à rien de gueuler en écrivant de bons mots qui se lisent sur écran. "Etre contre le fascisme, c'est l'affronter". Comme vous y allez !
J'avoue, avant mes trente ans, je n'ai pas été le dernier à aller au casse gueule, de nuit parfois, contre de jeunes connards ambitieux qu'une idéologie réprouvée tentait. Les affrontements furent nombreux, dans les années 1970, avec ces revendiqués néo-nazis, qui servirent déjà de marchepied au Père Gégène, dont la famille a acquis depuis une grande célébrité. Qu'ont apportés ces orions ? Le rapport de forces n'est-il pas ailleurs ?

Les slogans "contre les métèques" d'alors ne sont plus seulement sur des banderoles, comme dès 1934, mais aujourd'hui sur des écrans de télévision et en devanture des kiosques à journaux et, même sur la pile du cabinet de dentiste.

Il doit, quelque part, y avoir un moyen de comprendre cette inversion, et pourquoi cette boue idéologique s'échappe des égouts habituels.

J'ai bien ma petite idée là dessus, d'autant que même en 1981, je ne fus pas du genre à me réjouir de l'arrivée d'un fossoyeur et de ses équipes, accompagnées de faucheurs à faucilles, pour s'occuper des affaires sociales. On allait voir ce qu'on allait voir ! On a bien senti ensuite, aussi. Et quand les roses ont remis ça, ce fut pour fermer la tombe et la fleurir.
On me dit qu'il existe des antidotes, qu'un petit papier avec le bon nom à faire élire, balaiera tout ça, et fera rentrer la boue dans son lit. Mais je suis sceptique, quand je vois que ces mêmes coureurs d'élection brandissent des drapeaux où cette boue, séchée, s'étale dans des plis. Non, "ils ne viennent pas jusque dans nos bras". Pour quoi y faire ? "manger notre pain" peut être ? Moi, je suis resté sur "Ni dieu ni césar ni tribun", et j'ai même rajouté depuis "ni état souverain".

Deux ans après ma naissance, un certain Boris Vian écrivait "je voudrais pas crever". 7 ans plus tard, son coeur déborda soudain d'une envie de quitter ce monde. Il n'avait pas quarante ans. "Un anarchiste passif", on le qualifiait ainsi. Rien que regarder son wikipedia fait pourtant penser que sa passivité l'avait en vingt ans amené à accumuler une vie que d'aucun.e n'aurait eue en un siècle.

Et bien, je ne voudrais pourtant pas crever moi non plus avant d'avoir vu au moins, un rayon de soleil percer les nuages, et faire fondre la pellicule du vieux film noir et blanc qui passe, salué par les bras levés.

Je ne toucherai pas au gâteau d'anniversaire.

Je suivrai sans doute les conseils de papier, parce que ça ne peut faire de mal que de laisser apparaître, même dans des urnes, un rapport de forces. Je le ferai par utilité, comme tous les vieux cons comme moi qui regardent quand même les soirées électorales à la télé, après avoir vomi dans l'urne. Mais cette trace de brun va rester, comme un cancer en attente. Et on pourra tenter d'utiliser autant de papier que nécessaire, ce brun là nous emmerdera pour longtemps.

On en reparle dans un an ?

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